vendredi 24 février 2012

Casting


  • La série Borgen commence à souffrir de son manque de personnages. Cela devient un peu étouffant comme les quatre ou cinq personnes autour de Birgitte Nyborg vont toujours se retrouver reliés, comme hier où on découvrait comme par hasard que le mari de Birgitte avait couché avec la Ministre du Commerce. Mais surtout ce triangle entre le Premier Ministre Nyborg, son Spin Doctor narcissique Kasper Juul, et la journaliste Katrine Fønsmark devient trop répétitif.

    En revanche, l'autre défaut de la série (que c'était un peu trop "gentillet" et donnait toujours le beau rôle à l'héroïne, la Premier ministre Birgitte Nyborg, qui l'emporte toujours en ne cédant jamais au chantage) va se réduire un peu dans les épisodes suivants, si j'ai bien compris, alors que son Gouvernement et sa vie personnelle vont connaître des crises plus profondes.

    Peut-être que tous ces succès des premiers épisodes ne servaient d'ailleurs qu'à faire mieux accepter les compromis futurs. The West Wing avait eu une progression un peu inverse dans mon souvenir : la première saison était trop "réaliste" et la Présidence Bartlet ne faisait pas grand chose par peur des sondages, puis les scénaristes se sont libérés et ils ont commencé des réformes irréalistes et audacieuses tout en gagnant les élections quand même.






  • J'aime beaucoup l'atmosphère des romans d'espionnage de John Le Carré et j'ai donc plutôt aimé La Taupe (Tinker, Tailor, Soldier, Spy) mais là, le problème de Casting devient gênant pour le suspense.

    Je ne parle pas de Gary Oldman en Smiley (le "Beggarman" dans la comptine de Control), qui a réussi à diminuer son charisme pour prendre le masque du petit fonctionnaire discret et tout en retenue. SPOILER : Mais trop d'indices accusent vite Percy Alleline (Toby Jones) et tout est fait pour préserver Bill Haydon (Colin Firth), ce qui fait qu'on devine tout de suite qui est le coupable. D'ailleurs, y en a-t-il un qui entre dans la salle sans se dire : "Oh, c'est Colin Firth, c'est forcément lui le coupable ?". Il y a un autre indice qui n'est pas dans le casting mais bien à cause d'un clin d'oeil de John Le Carré : Esterhaze a trop un nom de traître (Esterházy, celui de l'Affaire Dreyfus) pour pouvoir être la Taupe.

    Il y a un frisson propre à l'Espionnage que je préfère infiniment au Roman Policier. Le philosophe Guy Lardreau a écrit que la science-fiction posait des questions de métaphysique (Comment pourrait être le Monde ?) alors que le policier pose des questions d'épistémologie (Comment pouvons-nous déterminer ce qui s'est passé ?). Le Roman Policier a une énigme avec des indices dispersés et des fausses pistes mais on sait qu'on est dans un puzzle qui va se résoudre (House, MD appartient au genre du Roman Policier d'ailleurs). L'Espionnage au contraire fait entrer dans un autre vertige épistémologique du scepticisme : une tentative de vérification qui finit par dissoudre les conditions mêmes de la vérification. C'est ce que résume bien Smiley quand il s'exclame qu'en un sens plus rien n'est "vrai" et que tout fait peut être réinterprété ou utilisé. Certains des personnages trahissent vraiment involontairement en croyant apporter des broutilles pour mieux espionner l'autre camp, se faisant prendre à leur propre piège. Et il y a aussi une sorte de nihilisme moral assez fascinant et qui n'est guère possible que dans la Guerre Froide : Smiley peut être un patriote sans aucune attirance pour le communisme mais il considère que certaines des méthodes de son camp ne valent pas mieux que celles de Karla, et la Taupe (inspiré de Kim Philby) dit avoir trahi "pour des raisons esthétiques". Le Policier est toujours un peu binaire (Coupable/Innocent, Pris / Pas Pris) alors que l'Espionnage multiplie l'ambiguïté à l'infini dans un jeu de miroirs et faux semblants où chacun craint de se faire éliminer par l'Autre Camp ou bien au contraire par le sien qui y verrait un gain ou croirait que vous avez déjà été "retourné".

    J'avais envie de faire un jeu de rôle d'espionnage (baptisé pour l'instant Agent Dormant ou Sub Rosa) où chaque personnage pourrait augmenter ses chances de réussite en gagnant des Points de Duplicité (je préfère cela mieux que "Points de Trahison" mais peut-être qu'un terme plus neutre comme "Points de Risque" permettrait de plus pousser les joueurs à en gagner ?). A chaque fois qu'il gagnerait des Points de Duplicité, il devrait faire un jet et si le score du dé était en dessous de ces Points, le personnage se révélerait être un Agent Double depuis le début, que le joueur le veuille ou pas. Les autres joueurs sont informés des succès des autres mais bien entendu pas de qui vient de devenir un Agent Double (peut-être même que chaque Agent Double pourrait ignorer l'identité des autres !). Call of Cthulhu a la crainte de la Folie et Agent Dormant aurait la crainte de la trahison avec la subtilité supplémentaire que même le joueur ignore au début du jeu si son personnage est ou non une Taupe, ce qui ne sera dévoilé que rétroactivement. Je pense que cela aurait bien simulé l'atmosphère paranoïaque du Genre, mais je crois avoir volé cette idée quelque part en lisant un article. Est-ce une idée dans le Spione de Ron Edwards ?
  • 8 commentaires:

    Bladsurb a dit…

    "House, MD appartient au genre du Roman Policier d'ailleurs" : Oui, c'est même dans les gènes de la série, puisque le personnage de Gregory House est un dérivé de Sherlock Holmes. cf par exemple http://www.housemd-guide.com/holmesian.php

    Anonyme a dit…

    La Taupe: Jacques Delors mène l'enquête. Ca m'a un peu gâché la visite du Conran Shop qu'est aussi le film. Ce que Ron Edwards appelle le "Cold", qui est aussi la petite forme deleuzienne, quand elle s'applique au film noir, quand le temps/situation traverse le héros et non l'inverse, ce Cold est exécuté par le chromoneo70's et l'anglicisation paresseuse vaporisée à tout moment. Le spleen Le Carresque qu'on essaye ici de rendre m'est toujours apparu surdramatique, suffisant, mais la densité minérale d'un milieu délétère m'a parfois retenu de jeter ses romans (les premiers sont les moins satisfaits, les plus réussis). Ellroy qui fait de l'espionnage à sa façon rend mieux les états de pensée successifs.

    Phersv a dit…

    > Bladsurb
    Oui, et cette familiarité avec le personnage de Holmes explique en partie son succès.

    > Anonyme
    Ce côté très morne et presque parodique m'a plutôt plu.

    Là où le cynisme apparent lecarresque échoue, c'est souvent dans un sentimentalisme assez traditionnel, comme une sorte de remords de l'auteur qui ne voyait pas d'autre manière d'individualiser et humaniser les situations. L'assassin Ricky Tarr craque simplement pour une espionne qui devrait plutôt lui apparaître comme un piège. Smiley geint un peu trop directement devant Karla sur son épouse Ann.

    Ellroy qui fait de l'espionnage à sa façon rend mieux les états de pensée successifs.

    Comme je n'ai jamais lu d'Ellroy (ni de polar au sens "Noir"), je ne comprends pas. Est-ce une question d'anticipation des réactions de chaque personnage ?

    Anonyme a dit…

    Plutôt la complexité classique de l'intrigue, qui se défait au rythme d'une enquête chaotique qui devient enquête de personnalité(s) et révélations sur le monde et soi-même. Et quand l'intrigue est défaite, la maison du héros l'est aussi car il est le frère de son ennemi.
    Si je peux me permettre, il faut lire du Noir ! Manchette (le "néo-polar" inspirateur d'Echenoz), Jim Thompson et Ellroy transcendent les thématiques qu'on associe au genre et surtout ce sont des stylistes dont le polar n'est que le véhicule.

    Quant au côté morne et parodique du film, il m'avait semblé une lointaine approximation de l'ambiance désenchantée qui fait le charme du roman. "Le Tailleur de Panama" par Boorman était bien plus réussi dans le genre witty et tout simplement élégant grâce au concours d'acteurs qui n'étaient pas des portes-manteaux de Mme Tussaud. Bref je m'emporte.

    Anonyme a dit…

    A lire aussi Cold City, rpg qui a un système intégré de trahison et de "secret agenda".

    Rappar a dit…

    J'ai beaucoup aimé La Taupe et je soupçonnais, twist oblige, qu'il fût l'enquêteur lui-même ;).

    Une partie de l'intérêt des romans d'espionnage vient de la Découverte des Secrets & Choses cachées (d'une conspiration, de plan machiavélique pour..., d'un pays verrouillé, etc.). En philo, qu'est-ce que cela donnerait?

    Ton concept de JdR d'espionnage me paraît très sympa. Ton lien vers Spione ne marche pas, je propose celui-ci à la place.

    Phersv a dit…

    > Anonymes
    qui n'étaient pas des portes-manteaux de Mme Tussaud

    Sévère mais cela semble moins dur que "Delors mène l'enquête". :)

    Oui, il y a des clichés mais cela fait partie de ce qu'on attend toujours de ce genre de "produit" culturel (car c'est un peu un téléfilm).

    L'Angleterre depuis un siècle est ce miroir caricatural d'elle-même : des fous qui se prennent pour des Anglais et qui en rajoutent dans les tasses de thé, le tweed gris, le classisme hautain des public schools, la Stiff Upper Lip, le Flegme et une aristocratie dégénérée. Les Français ont certes aussi des clichés de "gauloiseries" mais je ne crois pas que nous voulions autant mettre du vin, des pulls rayés, des Gitanes, des bérets ou l'arrogance des Grandes Ecoles dans nos films que nos rivaux favoris.

    > Anonyme2
    Merci ! En plus, je suis impardonnable, on me l'avait déjà indiqué dans un commentaire la dernière fois que j'avais évoqué le sujet.

    > Rappar
    Oui, un autre attrait du genre de l'Espionnage est en effet une paranoïa plus vaste sur l'ordre du monde. Le Polar dénonce des compromissions dans la gestion urbaine, des magistrats, des corruptions individuelles, l'Espionnage a remplacé les anciens Dieux des mythes par les Cercles du Pouvoir, les Hautes Instances (ici, Karla en Sauron caché à Moscou).

    L'Espionnage peut avoir des conséquences géopolitiques alors que le Policier est toujours plus local. James Bond au cinéma pousse cela plus loin et devient plus du superhéros que de l'espionnage à mon avis dans l'exagération des clichés du genre. Le genre James-Bond utilise des superninjas secrets alors que le genre LeCarré joue sur des fonctionnaires grisâtres et non-charismatiques mais le destin du monde repose pourtant quand même sur eux.

    Merci, j'ai rajouté un lien pour Spione.

    Anonyme a dit…
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