jeudi 3 novembre 2011

Le retournement de l'Euro



On défendait la création d'une Monnaie unique comme un moyen pour la Convergence économique. Plus les économies seraient intégrées, moins leurs intérêts divergeraient et cela devait conduire à une sorte de cercle vertueux de coopération. L'argument eurosceptique paraissait donc seulement figé à une période où les intérêts nationaux n'avaient pas encore eu le temps de converger.

On arrive à une situation inversée où la Monnaie unique semble s'opposer à la Convergence et où le centre est en conflit avec la périphérie. Certes l'Euro avait pu profiter réellement au bloc de l'Eurozone en période de croissance, mais tout se passe comme si la Monnaie unique se retourne soudain en un piège pour les économies plus endettées et moins compétitives après l'éclatement des bulles financières. Les ajustements exigés semblent devenir impossibles dans une période de dettes souveraines immenses.

A l'époque de la création de l'Euro, on disait que c'était l'Allemagne qui faisait le plus gros sacrifice en renonçant à son fétichisme pour le Deutschmark. Le prix à payer fut que l'Euro devint en partie un Deutschmark et que la Banque centrale européenne dut reprendre la politique déflationniste de la Bundesbank (même si ces taux de l'Euro représentait des taux d'intérêt relativement bas pour les économies moins compétitives).

Alexandre Delaigue a expliqué, contre l'opinion commune actuelle, comment on pouvait considérer que l'Euro pouvait profiter à l'Allemagne et être un désastre pour la Grèce en temps de crise.

La Grèce ne peut pas dévaluer et doit continuer à subir la fuite des investissements et l'augmentation de ses dettes avec une monnaie trop surévaluée pour elle. Il serait alors peut-être dans son intérêt de revenir à la Drachme (même si tout le monde est loin d'être d'accord) mais il est douteux que ce soit dans notre intérêt si cela déclenche un effet Domino contre les autres "PIGS" et bientôt la France.

On impose donc à la Grèce de rester et on lui reproche de ne pas en faire assez pour mériter d'y rester. On craint qu'elle ne parte et on lui en veut d'être toujours là.

L'Espagne, l'Irlande, avaient des finances publiques en bien meilleur état que l'Allemagne sur cette période 2000-2007. Le portrait-robot du pays en difficulté aujourd'hui, c'est qu'il a connu pendant 2000-2007 une balance courante de plus en plus négative, caractéristique d'afflux de capitaux de plus en plus importants ; un taux d'investissement élevé, et une inflation moyenne forte. Les pays qui s'en sortent le mieux sont dans la configuration exactement inverse. Les forts écarts d'inflation entre les pays de la zone euro traduisent eux aussi un problème systémique, et non local, dans la zone euro dans son ensemble. En se focalisant exclusivement sur l'inflation moyenne dans la zone euro, la banque centrale a laissé se multiplier les déséquilibres de balances des paiements et les divergences entre les pays européens. Il ne s'agit pas là d'une théorie fantaisiste, mais de la simple lecture des balances des paiements («What Really Caused the Eurozone Crisis?»).

Un des arguments pour l'union monétaire était d'éviter les guerres de dévaluation compétitive à l'intérieur d'un marché commun. Mais à présent la monnaie unique semble se renverser aussi en un carcan trop strict.

De même, le conservateur David Frum contredit la version moralisante et puritaine habituelle (l'Allemagne serait travailleuse, méritante et disciplinée, la Grèce serait seulement victime de ses fraudes fiscales et de sa corruption, et doit être punie pour avoir triché et profité du jeu coopératif).

Une Union économique sans Union monétaire aurait pu selon lui mieux contribuer à une convergence économique en profitant aux économies moins compétitives, même s'ils auraient eu moins de possibilité de s'endetter avec des taux d'intérêt supérieur. L'Allemagne aurait alors payé la force de son Deutschmark par une hausse de son chômage.

The same currency that made German exports more competitive also made the exports of other European countries less competitive. Their shares of world trade declined over that same decade — in France's case, by a spectacular 23 percent.

But the less competitive countries did get something out of the euro: Lower interest rates. The currency arrangement that enabled Germany to sell more enabled Greece, Italy, Spain, and France to borrow more.

Germany got the jobs. Greece and the others got the debts. (...)

Don't worry. The Greeks and the other indebted southern Europeans will suffer — and are suffering — plenty. But to ask the Greeks and the other southern Europeans to suffer exclusively is to forget how this crisis was created in the first place.

Je ne sais pas si son analogie suivante entre le rapport Allemagne-reste de l'Eurozone et Chine-USA marche si bien que cela (la Chine aurait bénéficié d'une monnaie artificiellement basse et les USA se seraient alors endettés). Mais il devient de plus en plus difficile de ne pas prendre au sérieux au moins certains des arguments euro-sceptiques.

Voir aussi l'analyse conformément à la règle de Taylor sur le taux d'intérêt normal, qui montre comment l'Euro devient de moins en moins adapté aux économies de la périphérie. Cet été, le financier Marshall Auerback prédisait que c'était d'ailleurs la France qui aurait le plus à perdre dans toute la désintégration de l'Euro, en étant à la fois trop intégrée à l'Allemagne et en même temps sans sa compétitivité.

Add.

Paul Krugman a le même pessimisme :

Let’s just say that the euro was an inherently flawed idea that can work only given a strong European economy and a significant degree of inflation, plus open-ended credit to sovereigns facing speculative attack. Yet European elites embraced the notion of economics as morality play, imposing across-the-board austerity, tightening money despite low underlying inflation, and have been too concerned with punishing sinners to notice that everything was going to blow apart without an effective lender of last resort.

The question I’m trying to answer right now is how the final act will be played. At this point I’d guess soaring rates on Italian debt leading to a gigantic bank run, both because of solvency fears about Italian banks given a default and because of fear that Italy will end up leaving the euro. This then leads to emergency bank closing, and once that happens, a decision to drop the euro and install the new lira.

Next stop, France.

Aucun commentaire: