jeudi 20 août 2009

Domination et Servitude (13/19)





« §13 Le Maître est la Conscience qui est pour soi, mais plus uniquement le concept de celle-ci ; il est au contraire une Conscience pour soi intermédiée avec elle-même par la médiation d'une autre Conscience, à savoir par une Conscience à l'essence de laquelle il appartient d'être synthétisée avec de l'être autonome, avec la chosité en général. Le Maître se réfère à ces deux moments, à une chose en tant que telle, l'objet du désir, et d'autre part à la Conscience aux yeux de qui la chosité est l'essentiel ; et dès lors que
(a) il est en tant que concept de la Conscience de soi, référence immédiate de l'être pour soi, mais que,
(b) il est désormais en même temps comme médiation, ou comme un être pour soi qui n'est pour soi que par autre chose, il se réfère
(a) immédiatement aux deux moments, et
(b) médiatement à chacun d'eux par la médiation de l'autre.
La relation du Maître au Serviteur s'opère médiatement par l'intermédiaire de l'être autonome ; car c'est précisément à cela que le Serviteur est tenu ; c'est sa chaîne, dont il n'a pu faire abstraction dans le combat, montrant par là qu'il n'était pas autonome, qu'il avait son autonomie dans la chosité. Tandis que le Maître est le pouvoir sur cet être, car il a fait la preuve dans le combat que cet être ne valait pour lui que comme cet être négatif : dès lors qu'il est le pouvoir sans cet être, mais que cet être est le pouvoir sur l'autre, il a dans ce syllogisme cet autre sous lui. De la même façon, le Maître est en relation médiate à la chose par l'intermédiaire du Serviteur ; certes le Serviteur, comme Conscience de soi en général, est aussi en relation négative à la chose et l'abolit ; mais cette chose est en même temps autonome pour lui, et c'est pourquoi il ne peut par sa négation en venir à bout complètement jusqu'à l'anéantir, il ne fait que la travailler. Ce qui advient au Maître, en revanche, par cette médiation, c'est la relation immédiate comme pure négation de cette chose, la jouissance ; ce à quoi le Désir n'est pas parvenu, lui y parvient, savoir : en venir à bout, et se satisfaire dans la jouissance. Le Désir n'y parvenait pas à cause de l'autonomie de la chose ; mais le Maître, qui a intercalé le Serviteur entre la chose et lui, ne s'est conjoint ce faisant qu'à la non-autonomie de la chose, et il en jouit de manière pure, mais il laisse le côté de l'autonomie de la chose au Serviteur qui la travaille. »


C'est la troisième et dernière partie du texte apmrès l'examen abstrait de la Conscience dédoublée et la Lutte à mort, la dialectique du Maître et du Serviteur. On commence donc par le pôle "dominant", celui du Maître.

La Conscience pour soi est enfin parvenue à apparaître à elle-même sous la figure du Maître, qui se voit comme liberté et activité (et donc comme négation). Ce n'est plus le simple concept abstrait et immédiat de l'être pour soi, c'est l'être pour soi dévelopé. Je ne suis Maître que tant qu'il y a le Serviteur pour me reconnaître comme Maître, l'autre qui lui a préféré le pôle de la chose, de son corps. Le Maître apparaît à lui-même comme l'être pour soi et non plus simple être immédiat. Elle est l'être pour soi qui toujours nie le donné, elle est Pouvoir, Puissance, et non pas chose passive, alors que le Serviteur est en comparaison une Conscience impure, "synthétisée" avec la chose qui est, avec l'être qui peut subister par lui-même comme objet. Le Maître a dominé la chose ou la vie en montrant qu'il s'affranchissait de son immédiateté et, en méprisant la vie, il domine le Serviteur.

On reprend alors une quadruple relation qui reprend de manière plus "concrète" celle vue au §6 (deux relations parallèles de chacun des deux termes à lui-même plus deux relations symétriques en chiasme de chacun à l'autre en tant qu'objet). Le Maître est (1) relation immédiate à soi ; (2) relation médiate à soi via l'autre, (1') relation à la chose et à l'autre (2') relation à la chose via le Serviteur et au Serviteur via la chose.

Le Désir voulait anéantir la chose en la consommant mais devenait insatiable parce que la chose lui échappait en tant qu'objet du désir - et parce que le Désir ne pouvait trouver sa satisfaction que dans la reconnaissance, dans le désir du désir de l'autre Conscience. Le Maître est parvenu à la jouissance de cette vie parce qu'il se sait "reconnu" comme maître. Il peut jouir et se croit au-dessus de la Nature, via le Serviteur qu'il domine et qui est l'instrument de son contrôle sur cette vie. Ce n'est donc pas directement que le Maître peut savourer son objet, c'est par l'intermédiaire de l'autre qui a préféré la vie au fait de pouvoir être reconnu. Le Maître croit mieux apprécier les fruits de cette vie par les risques et par ce qu'il juge comme l'excès d'importance accordé par le dominé à ces fruits.

Mais le Maître s'illusionne donc en partie en se croyant déjà pleinement arrivé à sa liberté. Il ne voit pas la contradiction dans laquelle il s'enferme en voulant être reconnu par un être sans le reconnaître. Si le Serviteur n'était vraiment qu'une chose ou un instrument, il ne pourrait pas reconnaître.

La jouissance du Maître, qui se satisfait de cette consommation, suppose donc une autre sorte de négation, qui va être le Travail. C'est le Serviteur qui doit travailler la chose pour que le Maître puisse en jouir. Sans Serviteur et sans Travail, plus de Maîtrise et de jouissance de ce qui est produit. Le Maître devient donc dépendant de cet être par un autre au moment même où il croit triompher dans la Lutte. En étant reconnu comme Maître, le Sujet oisif s'est aliéné aux chaînes de celui qui travaille pour lui.

Hegel cite lui-même la célèbre Robinsonnade comme une illustration de sa dialectique dans sa Propédeutique philosophique (1809-1811), IV, 2, B, §35 :


Le Maître contemple dans celui qui sert l'autre Je comme un Je aboli et sa volonté singulière comme volonté conservée (Histoire de Robinson et Vendredi).

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