mardi 18 septembre 2007

Formalismes


Je suis passé à ma chère librairie San Francisco et ai enfin trouvé Formal Philosophy de Richard Montague (Yale, New Haven, 1974, dans la 3e édition de 1979) pour seulement 30 € alors que même Amazon ne l'a d'occasion qu'à $74 ou $116 en photocopies !. Le livre est l'un des plus importants des fondements de la linguistique et est pourtant épuisé depuis 30 ans, je le cherche dans les librairies depuis dix ans en vain.

En même temps, ce livre est un symbole à un double titre pour moi. Il était l'une des pièces manquantes principales de ma bibliographie du temps où j'écrivais ma Thèse mais aussi et surtout un des livres importants dont je savais que je n'arriverais pas à le lire, et il suffisait à rendre la Thèse impossible. Montague est profond mais il est aride et technique.

En gros, Richard Montague (1930-1971) était un philosophe et logicien, élève de Tarski (fondateur de la sémantique), et sans doute l'un des plus grands sémanticiens du siècle. La sémantique consiste à trouver des procédures formelles rigoureuses et donc mécanisables pour que des énoncés reçoivent une interprétation. Tarski avait montré comment associer à des énoncés mathématiques des "modèles" (c'est-à-dire essentiellement des ensembles en relation). Montague alla plus loin en montrant comment associer à des énoncés de langue ordinaire des modèles (c'est-à-dire des structures d'individus en relations qu'on appelle en logique modale des "mondes possibles"). Ce procédé d'analyse formelle du langage est ce qu'on appelle aujourd'hui une grammaire (universelle) de Montague. Il fut retrouvé assassiné dans sa baignoire à Los Angeles à 41 ans et le meurtrier ne fut jamais identifié.

A l'époque de Montague, l'idée que la sémantique de la langue naturelle pouvait ainsi recevoir un traitement formel comme la syntaxe n'allait pas de soi. Comme le dit sa collègue la grande sémanticienne Barbara Partee, l'article de Montague de 23 pages, "The proper treatment of quantification in ordinary English" (repris dans Formal Philosophy, p. 247-270) eut une influence aussi profonde sur la sémantique contemporaine que celle qu'avait eu Syntactic Structures de Chomsky en 1957. Chomsky montrait que l'anglais pouvait être décrit comme un système formel, Montague que l'anglais était un système formel interprété.

Mais pour ce qui m'intéresse, Montague fut l'un des éléments décisifs de l'évolution du métaphysicien David Lewis. A Harvard, Lewis avait entendu de Quine que la logique modale ne servait à rien ou bien qu'elle aurait des conséquences ontologiques trop lourdes. Lewis montra dès 1968 comment payer ces conséquences en réduisant la logique modale quantifiée à une forme de logique quantifiée classique qui quantifie sur les mondes. Montague contribua en même temps à UCLA (où Lewis enseigna après Harvard) à prouver l'utilité de la logique modale (il parle aussi d'ontologie dans "On Some Philosophical Entities", 1960). Si on additionne ces deux influences de Quine (l'interprétation rigoureusement extensionnelle de la quantification) et Montague (la sémantique formelle fondée sur la logique intensionnelle), le système de Lewis apparaît comme une réponse philosophique élégante mais presque naturelle.

En passant, on peut très bien ne pas traiter les mondes possibles comme des "modèles". Dans la théorie des contreparties de 1968, les mondes sont logiquement des "individus" (juste de très gros "individus"), pas des domaines d'individus.

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