mardi 9 décembre 2014

Doom Patrol (2) : My Greatest Adventure #80


Une des traditions les plus constantes de ce blog est de commencer des séries sans jamais les finir (comme ce calendrier de l'Avent !). Je préviens donc que ma médaille (d'argent) en procrastination aux championnats internationaux m'empêcheront sans doute de faire durer longtemps cette autre série... mais je commence quand même.
Add. Je vois aujourd'hui que quelqu'un a déjà fait un long index. Il y a aussi ces recensions.

Le prologue était le mois dernier.



My Greatest Adventure #80, daté de juin 1963
Scénario : Arnold Drake et Bob Haney
Dessins : Bruno Premiani

L'histoire du premier épisode de la Doom Patrol a déjà été raconté tant de fois que je vais la résumer très vite. My Greatest Adventure était une série d'anthologies de science-fiction qui avait commencé huit ans avant, en 1955. Le titre était fondé sur un gimmick qui était des récits censés être à la première personne, même si le réalisme des premiers numéros avait vite été abandonné pour rejoindre d'autres séries de sf de DC Comics comme Strange Adventures (1950-1973) ou Mystery in Space (1951-1966).

L'éditeur du magazine Murray Boltinoff (1911-1994) voyait les ventes de ce titre décliner et tente une expérience de la dernière chance en transformant My Greatest Adventure en un support pour une équipe de superhéros. Il commentera d'ailleurs que l'obscurité de ce titre avait permis de laisser plus de liberté aux créateurs.

Quatuor Fatal / Fantastique

L'originalité de cette équipe créée par Arnold Drake (1924-2007) et de Giordano Bruno Premiani (1907-1984) va être de rivaliser chez DC Comics avec les nouveaux Fantastic Four de Marvel Comics qui venaient d'apparaître en novembre 1961. Au moment où paraît la Doom Patrol, Stan Lee (1922-) et Jack Kirby (1917-1994) ont déjà sorti quinze numéros environ et les Quatre Fantastiques ont déjà affronté par exemple l'Homme-Taupe, les Skrulls, Dr Doom, le Submariner, le Puppet-Master ou le Fantôme Rouge.

Arnold Drake - qui est de la même génération que Stan Lee et avait une longue expérience chez DC - imite clairement (avec son co-scénariste de ce premier épisode Bob Haney) les FF. Cela ne l'empêchera pas d'insinuer parfois que les X-Men de Lee et Kirby avaient pu imiter sa Doom Patrol. Voilà quelques analogies directes, qui sont finalement plus nombreuses que les quelques coïncidences avec les X-Men :

(1) Ses héros n'ont pas d'identité secrète (ce qui était unique, j'imagine, chez DC) et ils portent un uniforme (même si on peut toujours dire que la source commune de leur uniforme est les Challengers of the Unknown, créés par Jack Kirby chez DC en 1957).

(d'après l'Index Doom Patrol)

(2) Il y a 4 membres, si on compte le Chef. Mais les équipes de l'Âge d'Argent s'arrêtaient souvent à un tel nombre.

(3) Leurs rapports en font une sorte de "famille" particulière, ce qui n'est pas le cas de la Justice League mais est vrai aussi des Metal Men qui viennent aussi d'apparaître. Ils ne cessent de se disputer à une époque où cela n'arrivait pas vraiment dans les titres de DC.

(4) Ses héros sont dirigés par un homme génial, Chief, qui joue donc le rôle de Mr Fantastic, même s'il n'a pas de pouvoirs (il fabriquera par la suite une chaise roulante pleine de gadgets et même pendant un épisode un corps cyborg). C'est sa demeure qui va servir de Quartier-Général à l'équipe (de même que le Baxter Building dépend des brevets de Mr Fantastic).

(5) Il y a une seule femme parmi les 4, comme Invisible Girl chez les FF, notre chère Elasti-Girl, . Cependant, il y a un déplacement dans le parallèle : son pouvoir ferait penser à celui de Mr Fantastic mais elle peut seulement croître ou miniaturiser ses membres, Rita Farr n'atteint pas la plasticité de Reed Richards. En fait, son pouvoir en fait plutôt le vrai "Tank" du groupe, la plus forte physiquement, plus encore que Robotman, et donc plus un équivalent de la Chose par ses pouvoirs. Par la suite, elle va progressivement jouer le rôle de la "Mère" de l'équipe tout comme Susan Storm - mais les membres mâles semblent accepter assez vite qu'elle ne sera pas un partenaire de flirt, surtout quand elle va finir marié avec un homme extérieur au groupe initial, Mento.

(6) Negative Man est un homme qui peut projeter une forme énergétique qui vole, ce qui en ferait un équivalent de la Torche Humaine (même si le fait qu'il soit un astronaute pourrait encore faire penser à Benjamin Grimm).

(7) Robotman souffre sans cesse d'avoir perdu son humanité et il souhaiterait perdre ce qui le rend surhumain, ce qui en ferait donc l'équivalent de la Chose (et il est de couleur orange comme Ben Grimm !). Le Chef est responsable de l'opération chirurgicale qui l'a sauvé en en faisant un cyborg, alors que Reed Richards culpabilise d'être la cause de l'accident qui a transformé la Chose.

(8) Le passé du Chef est directement relié avec l'archi-ennemi de l'équipe, le Général Immortus, de même que Reed Richards avait fait ses études avec le jeune Doctor Doom.


Midway, la Cité Liminale



La ville de la Doom Patrol n'est jamais mentionnée dans ce premier épisode ("in a bustling city") mais on apprendra bien plus tard (seulement dans Showcase #94, septembre 1977) qu'ils vivent en fait à "Midway City".

On l'a oublié mais les Quatre Fantastiques au début faillirent vivre dans une ville imaginaire nommée Central City (sans lien avec celle de DC). La première Torche Humaine des années 1940 y avait vécu et Stan Lee fit allusion à cette ville dans les premiers épisodes avant de placer plus clairement le Baxter Building à New York City seulement à partir de Fantastic Four #4 (mai 1962). Elle semble être en gros sur la Côte Ouest (certains scénaristes s'amuseront ensuite à la réintroduire alors que Stan Lee avait affirmé rétroactivement que les FF avaient toujours été à NYC).

DC a gardé une tradition des villes imaginaires que n'a pas vraiment suivie Marvel. Superman a Metropolis (New York), Batman a Gotham City (New York), Flash a Central City/Keystone City (située de manière vague vers l'Ohio puis vers le Missouri/Kansas), Green Lantern a Coast City (qui a l'air d'être en gros San Francisco, Calif.), Green Arrow a Star City (la plus vague de toutes, qui a varié de la Côte ouest à la Côte est ou aux Grands Lacs, le consensus actuel est de la mettre pas très loin plutôt en Californie aussi) et Hawkman avait Midway City. Il existe de très, très nombreuses Midway City réelles mais la Midway City fictive semblait en gros être Chicago, Illinois - même si la localisation actuelle l'a mise bien plus au nord du Lac Michigan, à la frontière canadienne et près du Lac Supérieur.

Malgré le fait que la Doom Patrol et Hawkman partagent la même ville, ils n'ont à ma connaissance pas eu de cross-over comme cette révélation n'arriva qu'après la disparition de la première équipe (la Doom Patrol n'ayant guère rencontré que les Challengers of the Unknown ou les Teen Titans vers leur première période).

Le QG de The Chief est une sorte d'Hôtel particulier (avant que les Vengeurs n'apparaissent dans le Manoir Stark) et on apprendra plus tard (avec un Plan, Doom Patrol #98, septembre 1965) que Le Chef possède plusieurs étages souterrains qui vont en dessous du Métro de cette ville. Des extra-terrestres détectent des matériels électroniques développés en dessous dans Doom Patrol #82.

Analyse rapide

L'histoire de ce n°80 fait 25 pages. Les 12 premières donnent les origines des trois membres et une première démonstration de leurs pouvoirs. les 13 pages suivantes montrent un combat contre le Général Immortus et se termine avec un article de journal qui les appelle la Doom Patrol, ce qui choisit leur nom assez sinistre à leur place (mais le Chef a l'air enthousiaste).

"Les Héros Les Plus Etranges du Monde" portent l'uniforme vert qu'ils garderont jusqu'au numéro 89. Le "Chef" (qui ne révélera son origine que dans le n°88) prétend ici leur donner un but alors qu'ils se sentent tous exclus ou marginalisés en étant devenus des "bêtes de foire" (Freaks) après chacun de leurs accidents : l'astronaute Larry Trainor a été profondément irradié et ne peut se passer de bandages ("Negative Man"), le pilote de course Cliff Steele a perdu tout son corps et vit désormais dans une enveloppe robotique (après avoir été opéré par le Chef) et l'actrice Rita Farr a été transformée en plein tournage en une femme qui peut devenir gigantesque (et même si cela n'a rien de permanent, elle n'a aucun espoir de dissimuler au public sa mutation).

Elasti-Girl a encore des cheveux longs qu'elle gardera jusqu'au n° 83 et un air plus vamp, moins innocent que par la suite. Son nom de "Rita Farr" est-il une allusion à Rita Hayworth ainsi qu'à la moins connue Patricia Farr ? Elasti-Girl a été moins violemment touchée par sa transformation que les deux autres, elle n'est pas défigurée - c'est pourquoi dans une version très récente chez Geoff Johns, sa transformation a figé les traits de son visage de manière inquiétante pour qu'elle ait des raisons d'être presque aussi irritée que Larry et Cliff.

Robotman s'appelle encore "Automaton" dans ce premier épisode mais son surnom va vite remplacer ce terme maladroit (Robotman était déjà le nom d'un autre héros de DC Comics dans les années 1940, qui était aussi un cyborg avec un cerveau humain). Presque à chaque numéro et sur chaque couverture, Robotman a une tendance à perdre son corps qui se fait réparer à la fin. L'imagerie de cette "Légion des Héros Les Plus Etranges du Monde" (selon le slogan souvent répété) insiste donc souvent sur des sévices sur les corps, entre celui de métal qui est souvent mis en morceaux ou l'ombre énergétique de Negative Man qui tend à se disperser (Elasti-Girl est généralement la seule qui échappe à ces manipulations si ce n'est lorsqu'elle étend seulement certains membres).

Le visage du Général Immortus, en vieille momie fripée, est plus inquiétant ici que par la suite où il me semble devenir un vieillard plus générique. On ignorera toujours son âge réel mais il semble pouvoir rivaliser avec Vandal Savage - avec moins de succès politiques que ce dernier.

Les auteurs
A noter : l'édition DC Archives n'a pas repris une brève présentation des auteurs du magazine (p. 22). On dit souvent que DC faisait l'erreur de ne pas assez nommer ses auteurs (contrairement à Stan Lee chez Marvel qui créa une sorte de star system dans ses comics) mais on voit bien ici que DC avait commencé à mieux les valoriser symboliquement.

L'illustrateur Bruno Premiani est à mes yeux la principale star de ce titre (même si certains scénarios d'Arnold Drake n'ont pas si mal vieilli pour des histoires des années 1960, bien qu'il n'ait pas autant d'humour que Stan Lee). Ancien ingénieur devenu dessinateur, anti-fasciste, il avait fui l'Italie en 1930 (à 23 ans) pour l'Argentine puis la dictature péroniste pour les USA en 1948 (à 41 ans).

Arnold Drake en parle comme d'un homme de gauche exilé qui semblait se sentir assez mal à l'aise dans les USA des années 1950 : Drake lui aurait conseillé avec ironie de ne pas critiquer le McCarthysme car "il ne lui restait plus beaucoup de pays pour l'accueillir désormais".

Il est dommage que Premiani n'ait pas eu une carrière plus étendue. Son réalisme assez peu dynamique en comparaison du style de Marvel augmente le décalage de cette histoire fantastique alors que Jack Kirby, au contraire, a une tendance dans son maniérisme plus baroque, à tout rendre irréel, même le quotidien. Il dessine parfois Elasti-Girl de manière si sexy que je me demande s'il ne joue pas consciemment dans certaines cases avec les limites de cette bd pour enfants (même si cela reste très "sage").

Par la suite, c'est aussi Bruno Premiani qui va dessiner les premiers épisodes des Teen Titans. Je ne sais si cela explique les liens entre les deux séries où la Doom Patrol servira de groupe périphérique pour les Jeunes Titans.

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