mercredi 30 décembre 2009

Degrés de snobisme



(Via Phnk) la Première Figurante du pays invente une citation de Proust, où le sens paraît plus étrange que l'authenticité, mais je ne suis pas sûr de la remarque selon laquelle citer Proust serait déjà trahir des critères de tact. Le roman ironise autant sur ceux qui usent de citations à contre-temps que sur le ton de Mme Verdurin qui prend plaisir à se moquer des citations qu'elle juge trop pédantes.

mardi 29 décembre 2009

Mardi, Aristote s'accroche



Je ne cherche pas des excuses mais je vais avoir du mal à tenir la résolution d'Aristote pendant ces premières semaines de janvier (encore 50 copies cette semaine, un cours d'agreg, une conférence sur Russell, un chat qui s'endort sur mes genoux que je ne veux pas réveiller et des bibliographies de colles d'hypokhâgne à chercher).

Alors dans notre petite glose sur la Physique, nous en sommes à la fin du livre I. Voilà juste un petit extrait de la fin du livre, I, 9, 192a 13-25.

En effet, la nature qui demeure est cause conjointement avec la figure, des choses qui adviennent, comme une mère.

Mais l'autre partie de la contrariété, celui qui applique sa pensée à son caractère malfaisant pourrait souvent se la représenter comme n'étant pas du tout. En effet, étant donné qu'il existe quelque chose de divin, bon et désirable, nous disons que le contraire de cela existe, et qu'existe aussi ce qui par nature tend par le désir selon sa propre nature vers celui-là.

Mais selon eux [les Platoniciens] il en résulte que le contraire désire sa propre corruption. Pourtant ce n'est pas la forme qui est susceptible de tendre vers elle-même puisqu'elle n'est pas en état de manque, ce n'est pas non plus son contraire parce que les contraires se détruisent mutuellement, mais c'est la matière, comme si la Femelle tendait vers le Mâle et le Laid vers le Beau. À ceci près que ce n'est pas le Laid en soi qui tend vers le Beau mais le laid comme accident et pas la Femelle en soi mais par accident.

Ce qui demeure sous les changements est donc la Matière (ὕλη, littéralement "le bois" ou l'écorce du tronc), comme le bronze qu'on moule sous diverses formes. Aristote en parle déjà comme d'une "cause conjointe" (sunaitia, en référence à Timée, 46c7, 46e6, 68e4–5, dans la traduction Carteron chez Budé "cause coefficiente") avec la forme (μορφή).

Aristote dit que la Matière est la Matrice, la "Mère" en référence au Timée où le Réceptacle des les corps de l'univers est la "Nourrice" de toute chose (πάσης εἰ̂ναι γενέσεως ὑποδοχὴν αὐτὴν οἱ̂ον τιθήνη, 49a). Le Réceptacle (χώρα) du Timée (52a-d) est donc la préfiguration de la matière aristotélicienne plus que du Lieu (qui sera délimité comme un accident de la substance).

Cette Matière n'est pas du Non-être, même si elle est "l'Informe" et donc infigurable.

La Forme a un contraire, qui est la Privation de Forme. La Matière a donc par accident une Privation mais désire passer vers une Forme, qui serait son accomplissement, sa mise en oeuvre. La métaphore biologique se comprend par quelques exemples : la matière de la semence tend vers la forme qui serait l'être développé.

On dit souvent que le modèle central du devenir aristotélicien est technique, avec la Statue de Bronze, mais ici il est avant tout biologique. La dualité fondamentale Forme/Matière épouse aussi la dualité sexuelle où la Femelle ne fournirait que la Matière informe alors que la Forme de l'espèce viendrait de l'élément mâle (la réponse aristotélicienne à la question de l'Oeuf ou la Poule aurait donc été la Forme essentielle du Coq et non les éléments matériels de l'Oeuf, si le monde n'avait pas été éternel pour lui).



Le présupposé sexiste d'Aristote est que le Femelle est vu comme privation ou imperfection, du Mâle raté ou même comme il le dit dans De Generatione Animalium Livre IV, la Femelle n'est pas l'assexué mais une naissance "monstrueuse", au sens d'un écart ou d'une anomalie, le Monstre du Mâle comme défaut de la Matière par rapport à la Forme Mâle - de même que d'autres monstruosités seraient des excès). Aristote cite même pour une fois une "autorité" purement mythique au début de son livre sur la Génération des animaux : la Terre (Gaïa) est femelle alors que la Forme divine désirable est mâle (Ouranos). Il n'a donc fait que retraduire ce sexisme depuis l'imaginaire grec.

La Femelle est aussi le principe du désir puisque le Désir est vécu comme instabilité ou détour pour arriver à l'état désirable. Tous les êtres tendent vers un Désirable absolu, qui sera lui-même défini comme principe de tout mouvement et comme dénué de tout désir. La matière, comme informe, est donc aussi ce qui est désire non pas sa négation ou sa suppression mais son perfectionnement par la mise en oeuvre (ce qu'Aristote appellera l'Acte ou Energie).

lundi 28 décembre 2009

שִׁבֹּלֶת



Je ne suis pas le bon public pour Inglourious Basterds, n'ayant pas de goût ni pour les Westerns, ni pour les Westerns spaghettis, ni pour les films de guerre, ni pour les films de guerre macaroni qui sont parodiés (dont le titre italien modifié, The Inglorious Bastards / Quel maledetto treno blindato.

La plupart des chapitres utilisent de manière très ingénieuse la scène archétypale de confrontation avec l'Impasse Mexicaine, où des antagonistes se tiennent mutuellement en joue en s'assurant une destruction mutuelle (je n'en connais qu'une version dans Rubrique à Brac, citant Samuel Fuller), mais le film, malgré tous ces clins d'oeil, me met mal à l'aise. Non pas à cause d'un interdit moralisant sur la représentation ou sur le jeu sur la représentation (puisque le film joue l'inversion mythique où le spectateur serait censé savourer l'envers de "l'irreprésentable"). Le problème est que le film joue ainsi à faire de nous les Nazis des Nazis, grâce au personnage du SS Hans Landa (Christoph Waltz, qui a joué le rôle de Nietzsche il y a 20 ans dans Richard et Cosima). On ne rend Landa si ambigu, élégant et terrifant, que pour mieux nous montrer notre propre réactivité équivoque à son égard. On défoule notre propre violence et on joue ensuite à nous faire remarquer qu'on a soi-même deshumanisé le criminel, en reflet de sa propre inhumanité. La scène finale du cinéma est donc un jeu pervers où (1) le film de massacre de Goebbels est lui-même un film de Tarentino, qui nous fait applaudir avec Hitler des scènes qu'il aurait pu tourner, (2) le cinéma en feu devient une sorte de Chambre de la Mort où on rêve d'incinérer les bourreaux.

Mais je suis quand même impressionné par tous ces jeux sur la communication et la mort comme dans la légende du shibbólet. Dans le premier chapitre, le polyglotte et si brillant Landa annonce la mort en anglais parce que les Dreyfus ne parlent pas cette langue. Dans le second chapitre, les Basterds d'origine allemande, comme le tueur taciturne Hugo Stiglitz, sont ceux qui portent la mort en traduisant les phrases des prisonniers. Dans le quatrième chapitre, l'agent britannique est condamné par un Shibboleth non-verbal, purement gestuel et dans le cinquième, on croit que l'accent italien déplorable va condamner les Basterds alors que Landa a déjà décidé de les intégrer dans son propre plan (il sait lire d'autres signes comme le soulier de Cendrillon, pour éliminer celle qui serait la preuve matérielle qu'il n'était pas un agent double des Alliés dans l'Opération Kino). Et la croix gammée devient l'inscription dans la chair d'une sorte de circoncision inversée pour que l'Ange de la Mort reconnaisse les Nazis, quelles que soient leur apparence ou leur absence d'accent comme trace orale. (Cf. aussi la notion de "Pourparlers" comme figure de l'Aporie de la destruction mutuelle assurée : un film d'espionnage sur la Guerre froide serait peut-être mieux adapté à une telle ambiguïté que la Seconde Guerre mondiale qui est au contraire la figure de la clarté relativement manichéenne).

Un Cyclone de Clichés

Sur le site TV Tropes, un Cliché Storm est une surabondance de lieux communs dans un récit. L'équilibre est difficile à maintenir : suffisamment de clichés peuvent évoquer une "synthèse classique" ou bien "une reconstruction post-moderne" mais trop de topoï finissent par devenir pénibles et ennuyeux.

J'ai bien sûr participé du Culte technologique obligatoire en allant voir le nouveau film Avatar. Le film a maintenant sa propre entrée encyclopédique sur les clichés narratifs.

L'auteur a d'ailleurs lui-même utilisé de manière circulaire cette liste. Dans le film, l'Unobtainium, qui sert de MacGuffin Minéral et dont aucune propriété n'est précisée en dehors de la rareté, semble tirer son nom de cette compilation de lieux communs (on peut y voir de la cavorite qui fait voler les Montagnes Halleluïa, mais cela ne semble pas impliqué dans le récit qui semble le relier plutôt avec le réseau des sites sacrés).



Le Culte de la Technique a ses rituels et obligations. Judge Philippe (de la librairie Arkham) m'avait même dit que si je n'y allais pas, ce serait un peu comme "refuser l'invention du film parlant en 1927". Je crois que cette comparaison cinéphilique serait moins disproportionnée s'il avait parlé des premiers films en odorama... Je ne suis toujours pas sûr de voir ce que la 3D apportait spécifiquement à ce nouveau monde digital, en dehors d'une tentative de motivation pour le voir en salle et pas en version piratée (et les sous-titres qui flottaient parfois sur un plan médian).

Le problème d'Avatar ne me paraît pas vraiment sa naïveté (qu'on qualifie d'hommage aux Pulps dès que le scénario est indigent), ni le xénocentrisme faussement complexé du Bon Sauvage ou son racisme assez clair (le Gentil Blanc Magique vient pour sauver les pauvres Indigènes en fusionnant sa supériorité intellectuelle avec la proximité spirituelle avec la Nature).

Tout le monde a déjà fait la comparaison avec le génocide des Amérindiens (une référence au massacre de la Piste des Larmes dans l'exode des Na'vis) et donc à des films comme Little Big Man, Dances with Wolves ou des films sur le Paradis Perdu identifié à la jungle amazonienne (The Emerald Forest, le dessin animé FernGully: The Last Rainforest où des Elfes sauvaient aussi la jungle brésilienne - or les Na'vis sont des Elfes mélangés à des Chats et des Schtroumpfs géants).

La science fiction sert surtout ici à apporter l'idée de changement de corps avec l'opposition entre deux rapports, le corps mécaniste et le corps glorieux du Métis génétiquement modifié (les Avatars hybrides, qui ont cinq doigts au lieu de quatre comme les Na'vis), et j'avais déjà comparé ce nouveau topos de la métempsychose avec District 9 (même si Annalee Newitz oppose les deux par le fait que la Métamorphose en cafard de District 9 est vraiment le fait d'être "jeté" là et donc beaucoup plus déstabilisante dans le changement d'identité). Ce choix de la nouvelle enveloppe post-humaine artificielle serait un des éléments qui permet de dire que le message simpliste ne se réduit pas à la dénonciation de la Technologie qui a ravagé la Terre puisque c'est par la Technologie que la prétendue innocence du corps adamique est restaurée.

Matthew Yglesias dit que Dune était plus ironique dans le discours colonial où Lawrence d'Arabie devient le Mahdi puisque les Bene Gesserit ont manipulé les Fremen depuis des générations (missionaria protectiva) pour qu'ils acceptent le Kwisatz Haderach (le Goupillon comme préparation idéologique au Sabre). Ce n'est pas le cas ici avec le rituel de passage qui fait de Jake Sully le Toruk Makto. Mais en un sens l'action xéno-ethno-biologique du Docteur Grace Augustine (dont le nom est peut-être une allusion ironique au Péché Originel et qui doit être en fait financée par la Méchante Corporation) allait un peu dans le même sens, son action éducative n'étant que la préparation de l'exploitation coloniale.

Le film n'est pas sauvé par ses allusions de 25 tonnes à l'Irak (les Mercenaires dévoyés qui remplacent les Marines censés être plus responsables, la "guerre préemptive", "terreur contre la terreur", "shock & awe"), même si la Jungle exotique est plus vietnamienne. La superposition entre les critiques de l'Impérialisme et le retour à la Nature en deviendrait même irritante.

Il y a quelques éléments du scénario qui auraient pu stimuler un peu plus un intérêt qui se perd pendant les 2h46 de combat prévisible.

L'une des idées principales paraît tirée au moins depuis Solaris de Stanisław Lem (l'adaptation de 2002 par Steven Soderbergh était d'ailleurs produite par James Cameron). La planète Pandora (qui évoque aussi une Eve future, la Femme tentatrice artificielle) aurait pu plus nettement être une héroïne du film mais cette variation sur l'hypothèse Gaïa d'un écosystème organisé comme un individu n'inspire pas le même mystère que pour l'énigmatique planète Solaris. On avait déjà la même idée dans The Word for World is Forest d'Ursula K. Le Guin et dans le 3e épisode d'Il était une fois... l'espace (La planète verte).

Une hypothèse des fans de SF (et qui va sans doute être confirmée dans le jeu vidéo ou dans un autre produit dérivé), défendue par exemple par ce Blog, est qu'on peut donner une explication relativement hard SF (ou disons, semi-rigide) du monde. C'est un épicycle inutilement complexe par rapport à l'oeuvre. Bien sûr le technobabble des années 2010 tourne autour des Nanotechnologies. Les graines en forme de méduses (atokirina' en na'vi) de l'ordinateur organique EYWA (la Gaïa de Pandora) font penser à des nanomachines. Le fait que toutes les formes de vie de la planète comme les Na'vis, les Banshee et les Chevaux, soient cablés avec un port USB compatible (le "Tsahaylu", connexion neuronale qui sert à remplacer la télépathie de la Soft SF) serait un peu difficile à expliquer d'un point de vue évolutionniste : d'où la conjecture que Pandora a été modifiée par des biotechnologies, peut-être par les lointains ancêtres des Na'vis et qu'EYWA est un Ordinateur régissant tout l'écosystème et une trace de cette ancienne technologie transhumaniste. Cela aurait ainsi l'avantage de subvertir tout le discours du retour à la Nature : suffisamment de Technique recrée la Nature et donc dissipe l'opposition entre les deux.

Notons que cela ne sauve quand même pas le très littéral Deus ex Machina final, quels que soient les vagues essais de placer des "Pistolets de Tchekhov".

Contrairement à ce que le titre et le corps cyanoderme des Schtroumpfs Géants me laissait espérer, il n'y a aucune allusion claire à la mythologie hindoue (et j'ai pourtant cherché avec le plus de mauvaise foi la moindre analogie entre le couple du film et la relation entre Kṛṣṇa, 8e avatār de Viṣṇu, et sa compagne Rādhā).

Notre sensibilité aux Clichés peut varier. Personnellement, j'arrive très bien à accepter le subterfuge du Frère Jumeau utilisé au début : le héros a les mêmes gènes que le vrai connaisseur (pour expliquer pourquoi quiconque ne pouvait pas y aller) mais comme il est le remplaçant, il n'a aucune connaissance acquise sur Pandora, ce qui en fait le candide pour le spectateur.

En revanche, le fait que comme par hasard la Nausicaa de notre Ulysse, Neytiri, soit la Princesse et pas simplement une chasseresse est le petit détail qui fait passer vers le conte pour enfants (surtout que la scène de sexe avec cable USB Tsahaylu est bien entendu censurée).

Mais dans tous ces clichés, il y en a quand même au moins un que je ne comprends vraiment pas, même en ouvrant mon âme d'enfant de 8 ans et en me répétant le public prévu.

Pourquoi un Mecha (un robot-tank qui transporte une mitrailleuse) porterait-il un couteau ? J'aurais compris une tronçonneuse pour passer dans la jungle mais un couteau adapté à la taille du Mecha paraît presque un gag.

Oui, ces messages de geek inutilement longs finissent toujours par une question stupide du genre "Pourquoi du bruit dans l'espaaaaace ?".

En bref, je continue à préférer de loin Abyss, le seul film de Cameron que je peux revoir. Avatar n'apporte pas grand-chose en dehors du "tour de force" technologique dont on nous parle sans cesse.


Add. Avatar et les jeux de rôles

Certains fans réclament un jeu de rôle. Il y a pourtant de nombreux jeux de rôle qui font déjà mieux Avatar qu'Avatar sans influence directe.

Il y a par exemple Skyrealms of Jorune : sur un autre monde où des cristaux anti-gravité font voler des montagnes, les colons humains doivent cohabiter avec les autochtones, les Shantas, qui vivent en communication psychique avec les formes de vie de Jorune. Les Humains ont génocidé les Shantas mais ont oublié leurs origines (un peu comme sur l'Empire du Trône du Pétale), et de nombreuses autres races intelligentes vivent sur la planète comme des animaux terrestres génétiquement modifiés.


Shaan (1996, page du GRoG), jeu de rôle français d'Igor Polouchine, ressemblait encore plus à Pandora, avec d'un côté les colons humains dotés de technologie avancée et de l'autre des indigènes avec une forme de magie communiant avec leur planète Héos.

La fable anti-colonialiste y était plus directe que sur Jorune (où les Humains sont devenus presque aussi joruniens depuis des siècles que les "autochtones", même s'ils ne perçoivent pas tous l'énergie magique du monde). On peut jouer des Humains soutenant les autochtones opprimés mais il est clairement prévu qu'on prenne le parti de ce camp en révolte contre l'occupant terrien.

samedi 26 décembre 2009

2012 / 1433 après l'Hégire



Des communautés mayas (tzotzil) du Yucatán se convertissent à l'Islam sous l'impulsion de missionnaires venus d'Espagne (murabitun d'Andalousie) comme l'autoproclamé Emir de la Comunidad Islámica du Chiapas Muhammad Nafia (né Aureliano Pérez).

On imagine déjà quels fantasmes cela donnera dans les blogs républicains (et de manière symétrique chez une partie des zapatophiles) : l'ennemi héréditaire mexicain de Samuel P. Huntington, mais sans avoir à se servir de la leyenda negra catholicophobe.

vendredi 25 décembre 2009

Du vin blanc sous le soleil



Tim Minchin, l'athée australien dont j'avais posté le si joli poème Storm, se plie au chant des Saturnales.

mercredi 23 décembre 2009

Des Huns et des Alains

Le public, sans doute confit de consensus sarcastique (qui est le vrai mal de notre époque, nous prévient-on), se dispute pour savoir quel est le passage le plus brillant dans le long dialogue entre Alain Finkielkraut et Alain Badiou.

Finkielkraut est surtout victime d'une certaine confiance dans les discours pseudo-gaullistes de Henri Guaino. Il est bien conscient de la contradiction patente entre cette rhétorique et les politiques suivies mais cela lui paraît une tension réelle à l'intérieur de la cohérence du gouvernement alors qu'un naïf n'aurait tendance à n'y voir qu'un contraste entre des phrases et des actions.

Puis il critique une dénonciation marxiste du pouvoir.

« Une oligarchie féroce » dites-vous, mais qui pratique quand même l'impôt progressif sur le revenu et qui oblige les plus riches à donner cinquante pour cent de ce qu'ils gagnent.

Se féliciter que les plus favorisés consentent encore à payer jusqu'à la moitié de leurs revenus en impôts me paraît une maigre consolation, surtout quand on voit que même un pays aussi bolchevik que les USA de 1940 à 1960 avait des tranches qui dépassaient jusqu'à 80% pour les plus riches.

Alain Badiou dit que l'islamisme politique ne représente plus rien, puis que cela ne le dérange pas de dire qu'il est un "fascisme" (mais sans doute moins grave que le "Pétainisme transcendantal" qu'il inventait dans un pamphlet). En passant, le rapprochement avec le fascisme était pourtant jugé ridicule il y a peu par son ami Bensaïd.

Et les projets politiques réels de Badiou sont vagues, semblant simplement révasser un retour de Gardes Rouges pour faire des procès d'auto-critique :

Moi aussi je propose à ces « jeunes » finalement une forme de règle : la règle de la discipline politique. La discipline politique des plus pauvres, des démunis, on en est aujourd'hui encore très loin hélas. La construction d'une nouvelle discipline c'est le problème de notre époque. Et ça ne passera pas par l'école, ni par aucune des institutions de l'Etat. L'école elle est foutue, comme du reste l'essentiel de l'héritage de la IIIème et de la IVème République. Tout doit se faire à grande échelle en dehors de ces débris, auxquels vous attache une mélancolie de plus en plus crispée.

On voit dans ce genre de passage incohérent une idée de la distinction entre posture extrémiste vide et critique.

De même quand Badiou dit :

Moi dont l'œuvre philosophique entière consiste à élaborer une ontologie du multiple, moi dont un des énoncés essentiels est «l'Un n'est pas», il faudrait tout de même que je sois vraiment inconséquent pour penser contre la pluralité !

Le soupçon ne me semble pas écarté par cette déclaration vexée. Le fait que Badiou récuse en ontologie, comme la plupart des axiomatiques, un Univers de tous les Ensembles, ou qu'il dise que la vérité s'instaure dans des situations d'Evénement ne le préserve pas vraiment de son dogmatisme de Maoïste. Au contraire, le discours de la Multiplicité pur a rarement autant servi d'idéologie pour cacher le monolithisme.

Puis Badiou demande (page 4), à la manière d'un Maréchal pas du tout "transcendantal" mais bien empirique, s'il peut y avoir plus français que lui.

Il est difficile de trouver plus profondément Français que moi.

Et bien sûr Badiou ajoute ensuite que la France, il s'en fout, qu'un prolétaire n'a pas de patrie, mais qu'il est le vrai patriote.

Puis Alain Finkielkraut endosse lui aussi la lutte contre les hordes fascistes.

Je me suis très récemment affronté avec l'extrême-droite et j'étais assez seul car toute une partie de la gauche a rejoint sur ce point Marine Le Pen. C'est l'affaire Polanski, bien sûr. On a vu le fascisme procéder comme à l'habitude, en désignant une cible à la vindicte populaire, en créant une victime sacrificielle, accusée de viol de petite fille.

Oui, avec une petite différence qui est qu'il s'agit ici d'une procédure juridique, certes critiquable, pas d'une lapidation ou d'un "lynchage" du tourbillon de la "violence mimétique". La justice américaine devrait peut-être tenir compte des demandes de prescription entérinée par la victime du viol mais c'est sans doute maltraiter du mot "fascisme" - surtout quand Finkielkraut se prétendait choqué que N'Diaye ait utilisé le mot "monstrueux" pour parler d'Eric Besson et lui donnait des leçons sur le souci de la précision.

Dans ces chocs des solitudes et des marginalités héroïques contre les torrents de l'époque, on voit assez peu de moments de tact dans le dialogue, sauf peut-être quand Finkielkraut défend en partie le livre de Badiou Circonstances 3, Portées du mot « juif » de l'accusation d'antisémitisme. Le problème de l'argument pseudo-sartrien ou "paulinien" de Badiou (il n'y a plus de communautés, que de l'Universel, donc le prédicat "juif" est entaché d'avoir été utilisé par les Nazis pour s'attribuer à des humains qui n'avaient en fait rien en commun) est qu'il peut être toxique quel que soit le bien-fondé d'une critique d'une dérive théocratique en Israel.

mardi 22 décembre 2009

Mardi, c'est toujours Aristote

Rappel : Introduction et Plan de la Physique, I,1 Les Principes

Physique, I, 2-9

Le but de la Physique est donc de chercher le ou les Principes de ce qui change (les choses existant "en nature" étant ensuite définies en page 185 a 12-13 comme celles qui changent, comme celles qui sont "mues").

Aristote va donc commencer (comme il le fera aussi en Métaphysique I, 3-10 en partant des Quatre Causes de Physique II) par une partie d'exposition des doctrines antérieures. Aristote n'a peut-être pas créé la Science mais il a créé au moins l'Histoire des Sciences (même si sa méthode est sans doute biaisée par l'idée de se présenter en synthèse et dépassement de toutes les contradictions antérieures).

Mais comme notre but est plus ici de comprendre Aristote que de critiquer ses témoignages éventuels, je ne vais même pas vraiment chercher à voir si ses arguments rétrospectifs auraient pu convaincre ses devanciers.

Aristote distingue donc deux types de thèses possibles sur les Principes du changement : ceux qui disent que le Principe ne doit pas accepter de changement (ce qui revient à nier la réalité du changement physique, qui ne serait qu'apparent) et ceux qui acceptent des Principes en mouvement, généralement des Principes ultimes matériels comme un élément (que ce soit un Elément fondamental comme l'Eau chez Thalès ou l'Atome chez Démocrite, qui admet un seul Genre d'élément, la matière insécable même s'il admet ensuite une infinité d'Espèces de figures de ces éléments insécables).

Toute la réussite sans précédent d'Aristote dans la tradition philosophique qui va de l'Antiquité à la Science moderne de Galilée et Descartes au XVIIe siècle consistera à occuper cette position prétendument médiane entre un "idéalisme" et un "mécanisme" : le changement existe mais il ne se réduit pas à une causalité matérielle ou géométrique, il y a aussi d'autres causes (mais le dépassement du mécanisme avec la Cause finale ne se fera qu'au livre II).

Cela donne donc le Plan du livre I suivant :

  • Critique de l'Unité du Principe Immobile (I,2 - I,3)

  • Critique des Physiciens qui ont admis des Principes matériels en mouvement (I,4)

  • Solution d'Aristote
    • Il faut distinguer des Principes contraires (I,5)
    • Cela fait arriver à deux Principes : la matière et la forme, ou plutôt trois principes si on ajoute l'accident de privation de forme. Le changement est de la matière muable qui change de forme (en soi éternelle). (I,6-I,7)
    • Cela permet de surmonter les anciennes critiques des Eléates, mais aussi de dépasser la théorie des Platoniciens. (I,8-I,9)
  • Critique de l'Unité du Principe Immobile (I,2 - I,3)

    Dire que l'Étant est Un et Immobile est attribué comme la position des Éléates, les philosophes de l'École de Parménide.

    Élée (Ἐλέα), cité grecque au sud de Naples et Salerne, aurait été fondée par des Phocéens vers 535, à peu près à l'époque de la naissance de Parménide (540/520-450?). Parménide y aurait été influencé par les Pythagoriciens mais aussi par le Ionien Xénophane de Colophon (570-480), qui se serait installé à Élée dès sa colonisation. Zénon d'Élée, dont les arguments contre les contradictions de l'Espace et du Temps, vont être l'un des objets d'étude principaux de la Physique aux livres III (Sur l'Infini) et VI (Sur la Divisibilité) y serait né vers 490, soit une vingtaine d'années avant Socrate.

    Après Parménide, le dernier grand Éléate fut Melissos de Samos, qui écrivit aussi des arguments plus clairs à interpréter que le Poème de Parménide. Aristote attaque particulièrement Melissos, accusé d'avoir traité l'Être non seulement comme Un mais aussi comme Infini, ce qui semble le distinguer du fondateur et de son contemporain Zénon. Mais il est possible aussi de lire le passage (185 a 10-12) comme indiquant que pour Aristote, Melissos a au contraire le mérite de mieux montrer les prémisses absurdes qui seraient déjà dans Parménide.

    Il est impossible de savoir ce que c'est qu'être Éléate. Ils nient la multiplicité des étants et la réalité du devenir, n'admettent que l'Être et l'Un, mais, comme il n'est rien de plus manifeste, on peut se demander ce qu'ils voulaient dire et comment des penseurs si profonds (car Zénon d'Élée, par exemple, est l'un des plus profonds dialecticiens qu'on puisse imaginer) pouvaient s'arrêter à des paradoxes si inintelligibles.

    Le principal intérêt des commentaires de Heidegger sur les Présocratiques (sans accepter pour autant son déclinisme) est de nous mettre en garde contre une lecture "évolutionniste" qui les réduirait à des enfants naïfs, à de simples brouillons d'Aristote. On peut les imaginer comme des mystiques ou des Indiens, ou bien (comme le fait Hegel) comme des Logiciens si abstraits et amoureux de l'Idéal logique qu'ils résorberaient tout le divers dans la pure catégorie intellectuelle. La Physique téléologique d'Aristote naîtrait contre cet Idéalisme logique anti-physique et contre le Mécanisme pan-physique. Mais c'est justement la lecture à laquelle Aristote a voulu nous habituer dans sa reconstruction.

    Pour critiquer les Éléates, Aristote compare leur ontologie à la Quadrature du cercle. Le Géomètre doit réfuter les tentatives géométriques erronées de faire une Quadrature du cercle à partir de segments, mais il n'aurait pas à réfuter une tentative plus abstraite comme celle d'Antiphon, qui part de l'hypothèse qu'un Cercle est en fait un polygone à une infinité de côtés. Le Physicien n'a pas à réfuter toutes les hypothèses éléatiques mais le Philosophe peut trouver des arguments pour défendre le postulat fondamental de la réalité du multiple.

    Aristote commence sa critique par son argument le plus central et le plus répété : l'Être se dit en plusieurs sens. On ne peut pas parler de l'être en un seul sens car il y a plusieurs manières d'attribuer quelque chose à un quelque chose et il faut distinguer ce à quoi on attribue toujours (la substance) et ce qui est attribué parfois (l'accident).

    Melissos de Samos dit que tout est Un et que l'Un est Infini, mais d'après la théorie des Catégories de l'Être d'Aristote (Qualité de la Substance, Quantité de la Substance, Disposition et Relation de la Substance vis-à-vis d'autre chose), cela revient à dire qu'il n'y a qu'une seule Substance unique et que cette Substance unique est en même temps accidentellement d'une quantité infinie. Donc pour Aristote, la thèse se contredit directement : la Substance est dite Quantité et donc il n'y a pas qu'un Être.

    Je ne suis pas sûr de voir la force de la réfutation puisque la thèse de Melissos nierait simplement que le vrai sens de l'Infini soit une quantité d'une substance ou bien que cela doive nécessairement distinguer les deux catégories d'Unité et Infini. Peut-on vraiment surmonter l'éléatisme sans une pétition de principe, sans simplement marcher comme Diogène ?

    La deuxième critique est plus détaillée. Au lieu de se servir des diverses Catégories de l'Être, Aristote utilise la notion d'équivocité du terme "Un". Une unité peut signifier (1) la continuité, (2) l'indivisibilité, (3) l'unité d'une même définition ou "quiddité" sous divers noms ("vin" et "jus de raisin fermenté", ou "manteau" et "pardessus"). [Le livre 10 de la Métaphysique ajoute l'unité numérique de l'individu, et distingue bien l'Un comme simple universel abstrait et les substances uniques]

    • Si tout l'étant est Un par "continuité", c'est qu'il a des parties divisibles et donc il y a bien du multiple.
    • Si tout l'étant est Un comme une totalité indivisible, il ne pourra pas être dit "infini" ni "fini". Ce qui est indivisible est une "limite" mais le corps qui est limité entre deux limites est lui-même divisible et a des parties et des qualités ou quantités. La limite n'a ni qualité ni quantité, elle n'est pas un corps ou une substance. L'Éléatisme réduit donc tout étant à un être à la Limite, à cette ligne abstraite entre les étants concrets.
    • Si tout l'étant est Un sous une même définition essentielle équivoque, il n'y aurait plus de contraires ni de Principe de contradiction. L'Éléatisme logique s'écroulerait alors dans son contraire, la thèse d'Héraclite (ou bien de grands sophistes) selon laquelle l'être est devenir contradictoire.
    Aristote ne se contente pas de refuser les hypothèses logiques des Éléates mais donne toute une batterie de raisonnements pour les critiquer (I,3). Il refuse l'identification de toutes les catégories de l'Un, de l'Etant, de l'Immobile. Si l'être se dit en plusieurs sens, la substance-sujet et l'accident, le refus de la multiplicité des sens reviendrait à dire que les accidents sont des néants et qu'il n'arrive rien, ou bien que ce qui arrive est un être du non-être. Ce cheveu de Socrate devient blanc. "Devenir blanc" est un accident de "Socrate" mais il suffit à distinguer l'être de Socrate qui devient blanc et l'être du blanc. Donc Parménide a tort. De même pour une définition essentielle comme "L'homme est un animal bipède", et il faut donc une articulation logique des genres, des différences et espèces qui suffit à réfuter l'unité absolue de l'être : il y a plusieurs Universaux et donc tout n'est pas Un. La thèse abstraite de l'unicité n'exclurait alors pas une multiplicité où chaque Universel serait séparé et sans communication ou instanciation avec les autres (ce qui mériterait alors le nom d'atomisme logique encore plus que la position que créera Bertrand Russell en plaçant des Universaux en relation avec des particuliers simples).
  • Critique des Physiciens (I,4)

    Les Physiciens sont les philosophes (souvent originaires de Milet en Ionie comme Thalès, Anaximandre et Anaximène) qui admettent le changement sensible et en cherchent un Principe. Soit ils admettent un Corps unique comme substrat qui se condense ou se raréfie pour donner les divers états de la matière, soit ils posent une infinité de Corps qui se différencient.

    Dans la seconde catégorie, le Ionien installé à Athènes Anaxagore (500-428, élève d'Anaximène) commence par l'hypothèse qu'aucune qualité ne peut émerger à partir de rien et donc que toutes les qualités des composés résultent des proportions des qualités des composants. Ses éléments simples du Tout (les "homéomères") ont donc chacun toutes les propriétés des diverses totalités. Si un corps apparaît comme un os blanc, c'est qu'il a plus d'homéomères blancs et osseux dans ce complexe. Donc il y aurait une Infinité de Principes du changement : l'os se noircit s'il change sa répartition d'homéomères plus ou moins blancs en proportion d'homéomères plus noirs.

    Aristote refuse de croire que le cerveau macroscopique puisse être composé d'une infinité d'homéomères qui aurait chacun du sang microscopique et du cerveau microscopique (mais aussi une infinité d'autres propriétés à divers degrés infinitésimaux). Il faut une grandeur minimale pour y concevoir un animal ou une plante.

    Aristote se réclamera donc d'un nombre fini de Principes, en s'inspirant d'Empédocle d'Agrigente (vers 490-435), qui avait posé les quatre éléments (le Feu, l'Air, la Terre, l'Eau), même si Aristote va ensuite les réduire par des accidents des Substances (Chaud/Froid et Sec/Humide). La synthèse aristotélicienne est de comprendre les changements entre des limites logiques qui sont les contraires.

  • Solution d'Aristote (I, 5-9)

    Aristote se pose alors en grand syncrétique de tous les Physiciens et Philosophes de la Nature en disant qu'en un sens, ils sont tous d'accord sur la nécessité de poser deux Principes contraires. Même Parménide pose, en plus de la Voie de la Vérité (l'Un) une dualité dans sa Voie de l'Apparence. Démocrite l'Atomiste admet deux Principes : le Plein (Atome) et le Vide (Privation d'Atome).

    Les accidents se rangent ainsi en contraires : cultivé / privation d'éducation, blanc / privation de blanc (mais dans ce second cas, il y a de nombreux intermédiaires).

    Mais il ne peut pas y avoir que des accidents contraires comme Chaud/Froid ou Condensé/Raréfié car il faut un substrat auquel cela arrive, et la Condensation n'est pas un événement qui arrive à l'événement de Raréfaction, c'est bien quelque chose qui se condense ou se raréfie.

    Ce quelque chose comme support des accidents contraires n'a pas lui-même de contraire et c'est ce qu'Aristote appelle Substance (en grec, du mot plus usuel d'Οὐσία, qui veut dire à peu près n'importe quelle "ressource" ou "bien" réel).

    Ici, la Substance est prise avant tout au sens du "substrat" ou de la base du changement, ce qui sera interprété avant tout comme la "Matière". Aristote a une théorie complexe de la Substance en Métaphysique Z (7) et H (8) où la Substance peut s'entendre soit comme substrat et Matière par opposition à la Forme, soit comme réalité essentielle et Forme par opposition à la Matière, soit comme le Composé individuel de Matière et de Forme.

    Cela donne donc la théorie de la génération en I,7, qui va différencier la Génération absolue (la naissance d'une substance) et le changement (qualitatif ou quantitatif) comme accident d'une Substance.

    Advenir se dit en plusieurs sens. D'un côté, certaines choses ne sont pas dites advenir mais devenir ceci. Comme d'un côté, seules les substances adviennent absolument, concernant les autres choses il est manifeste que quelque chose soit sous-jacent, à savoir ce qui devient (en effet une quantité, une qualité, une relation, un temps, un lieu adviennent quand quelque chose leur est sous-jacent, du fait que seule la substance n'est dite d'aucun autre substrat mais que toutes les autres choses sont dites de la substance. (190a 31- 190b 1)

    Les Substances aussi et les autres étants qui sont de manière absolue adviennent aussi à partir d'un substrat.

    Toujours en effet il y a quelque chose d'où la chose advient, par exemple la plante ou les animaux adviennent à partir de la semence. Mais en général, les choses adviennent absolument, les unes par changement de forme, par exemple une statue, d'autres par addition, par exemple les choses qui croissent, d'autres par soustraction, par exemple l'Hermès à partir de la pierre, d'autres par composition, par exemple une maison, d'autres par altération, par exemple les choses qui changent du point de vue de la matière. (190 b 1-9)

    On remarque le détail dans l'analogie du modèle artistique/technique du changement physique. La statue a un même volume de matière mais reçoit une forme (c'est le moulage imposé à du bronze coulé) alors que la sculpture de l'Hermès taille en retirant de la pierre sur le volume du substrat.

    Donc cela donne trois "Principes" : (1) la matière, (2) une forme (qu'elle soit accidentelle ou non), (3) la privation de cette forme.

  • lundi 21 décembre 2009

    Hooliganisme byzantin



    Via William Rosen, auteur de Justinian's Flea: The First Great Plague and the Fall of the Roman Empire :

    Justinian’s favorite hobby, in fact, was arguing the most obscure points of Christian doctrine (you can easily see where we get the dictionary definition of “Byzantine”). This was brought home to me by way of one really illuminating scene that I included in the book; an incident that took place at the Hippodrome, Constantinople’s great arena for chariot racing. Justinian was seated in the imperial box, surrounded by 50,000 racing fans, when one of them (no doubt equipped with a megaphone) engaged him directly in a debate about the nature of the incorruptibility of Christ’s body. The emperor and the fan went toe-to-toe on the issue in stanza after stanza of extemporaneous verse on the murkiest kind of Christian dogma, with occasional cheers from the crowd when one debater got in a good one.

    It was as if New York’s Mayor Bloomberg spent halftime at a Knicks game debating the finer points of string theory with a physicist seated twenty rows away, and not only did no one think anything extraordinary about it, but the drunks in the cheap seats applauded.

    La réforme illustrée



    La Carte scolaire est détournée et ne joue plus assez son rôle pour favoriser l'égalité des établissements. Le Président l'assouplit donc pour qu'elle favorise encore plus l'inégalité.

    La Filière dite "Littéraire" (mais qui n'est plus que "Pour les nuls en Maths") est en danger et décline au point d'être déconsidérée et redoutée par les élèves comme une voie de punition au niveau des séries technologiques ou professionnelles. Le régime décide donc de l'affaiblir encore plus en retirant les mathématiques (disponibles certes en option, à choisir contre l'option de langues anciennes).

    C'est toujours la recette du Sarkozysme :


    • (1) Identifier un problème.
    • (2) L'aggraver.
    • (3) Profit!

    Art de l'improbable



    La politique dans la Principauté seborgienne :

    His only political challenge came in 2006, when Princess Yasmine von Hohenstaufen Anjou Plantagenet mysteriously materialized to claim the throne with the intention of returning it to Italy.

    The Seborghini responded with indifference, and that was that.

    vendredi 18 décembre 2009

    Les théories des Lanternes vertes





    Tapped écrit :

    Although the Green Lantern theory of the presidency is easily refuted by the most rudimentary knowledge of American political institutions, there is something to be said for the ability of the president to be seen as a fighter and thus strengthen his ties to his political base.


    Et ils n'expliquent même plus l'expression "Green Lantern Theory" comme si cela faisait maintenant partie du savoir commun en politique. Green Lantern est une bande dessinée où tout porteur de la Lanterne Verte peut à peu près tout faire tant qu'il a assez de volonté pour le réaliser. Ce fut Matt Yglesias qui a immortalisé l'expression "Green Lantern Theory of Geopolitics" il y a 3 ans pour ridiculiser le volontarisme irréaliste des Néo-Conservateurs autour de Bush : il n'y aurait aucune limite théorique à ce que peut faire l'Hyperpuissance américaine, sauf si elle doute d'elle-même ou réfléchit trop. Le terme s'appliquait seulement à la politique étrangère mais il se répand maintenant aux autres parties de la théorie politique.

    jeudi 17 décembre 2009

    Reconciliation ou bien Compromis



    Il est toujours un peu ridicule en politique d'écrire ce genre de message sur la "déception", comme si un homme politique était une sorte de figure en qui on confie des espérances démesurées et une affection irrationnelle. C'est de la nature même de la politique d'être "décevante".

    Cependant, même en tenant compte des difficultés énormes géopolitiques et économiques, je commence à penser qu'il y a des erreurs voire des fautes d'Obama sur la politique intérieure. Je ne comprends rien à l'Afghanistan si ce n'est que la politique suivie semble un échec, mais je ne sais pas ce qu'il aurait fallu faire dans la mesure où le retour des Talibans sera un désastre mais où on ne voit pas comment l'éviter.

    Mais on utilisait souvent l'argument qu'Obama devait accepter de nombreux compromis en politique étrangère pour sauver son programme intérieur. Mais si même le programme intérieur s'effondre, le bilan risque de devenir effrayant.

    La plupart des blogeurs démocrates mainstream "principaux" pensent que le mauvais compromis actuel sur la Santé dans la version du Sénat est un progrès non-négligeable (voir les centristes dans la liste sur KoS : Kevin Drum, Ezra Klein, Josh Marshall, Matt Yglesias).

    A la gauche du Parti démocrate, Markos Koulitsas au contraire pense qu'il y a bien plus à perdre politiquement à en rester à ce projet actuel. On contraint les individus à prendre une couverture privée et on ne remet pas en cause ces organisations.

    Parfois la scission est intérieure au même blog. Paul Campos fait remarquer que la version actuelle n'a plus d'Option publique, aucune expansion du Medicare et en plus une obligation contraignante à prendre une assurance privée. Tout bénéfice pour le privé en dehors de quelques gains comme l'interdiction de retirer rétroactivement une couverture médicale. Il préconise donc de s'opposer à cette version en espérant un Plan B, un second vote en se servant de la stratégie dite de "Reconciliation", qui permet de faire passer un budget au Sénat avec 51 voix, sans chercher à surmonter le blocage de 41 voix. Sur le même blog, Scott Lemieux (en citant Kevin Drum) explique que cette espérance d'un vote de Réconciliation est chimérique et que si ce projet meurt cette fois, il est enterré pour longtemps.

    Le choix est donc, comme souvent dans l'art du possible, dans la mesure du "Moindre Mal", entre un projet très décevant et pas de projet du tout.

    Ce genre de cas est inévitable et Obama n'a certes pas choisi l'équilibre des forces qui donnait aux Démocrates conservateurs (Evan Bayh, Blanche Lincoln, Ben Nelson, Mary Landrieu etc) et aux renégats vendus et pleins de ressentiment (Joseph Lieberman) un pouvoir disproportionné. Mais on peut vraiment se demander si Obama a fait tout le nécessaire pour ne pas décevoir. Son soutien à l'Option publique a été visiblement mou, soit parce que cela lui importait peu, soit parce qu'il avait déjà estimé que ce n'était pas réaliste dans l'équilibre actuel (ce qui risque bien sûr d'être une prophétie auto-réalisante).

    Le problème du projet actuel est qu'il est certes "mieux que rien" mais peut-être pas meilleur du point de vue politique : les Démocrates ont déçu leur Base et ont ajouté une Obligation d'acheter la couverture (Mandate) qui va engendrer beaucoup de ressentiment. Plus de contraintes et pas beaucoup plus de protection collective, le marché paraît difficile à vendre.

    Il faut ajouter à cela que la Base démocrate est démoralisée alors que la Base conservatrice est électrisée. Ce qui s'annonce très dangereux pour les élections de mi-mandat de novembre 2010 où le pouvoir sortant pourrait être sanctionné sans un soutien fort de la Base déçue.

  • Add. Droopy won.

    The Daily Show With Jon StewartMon - Thurs 11p / 10c
    The D.C.
    www.thedailyshow.com
    Daily Show
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    Political HumorHealth Care Crisis

  • mardi 15 décembre 2009

    Mardi, c'est encore Aristote



    Livre I : Les Principes 184a-192b

  • Chapitre I Premier objet de la science physique, la recherche des principes, analyse de la priorité

    Le livre I commence par les "Principes" de la Science de la nature et le Livre II portera sur les "Causes" des changements naturels, mais la différence entre Principe et Cause n'apparaît pas toujours très claire, surtout au début puisque Aristote semble dire "Principes, causes et éléments" comme si ces termes étaient en fait synonymes.

    Il n'y a de vraie science que si la connaissance procède des principes (par un raisonnement ou bien par induction). Aristote le dit plus précisément en Métaphysique A, 1 en distinguant la simple Expérience (ἐμπειρία), l'Art (τέχνη) et la Science (ἐπιστήμη) (cf. Ethique à Nicomaque VI, 3-4). L'Expérience comporte déjà quelque "savoir" mais elle ignore encore les causes réelles. Un guérisseur seulement empiriste n'a pas encore un Art médical, qui est donc plus du côté de la connaissance. L'empirique sait que son médicament fonctionne de manière pragmatique mais il ignore pourquoi. Celui qui possède un Art et le scientifique comprend la cause et il suit des Principes propres à sa discipline.

    Pour voir si on peut un peu distinguer Principe (ἀρχή) et Cause (αἰτία), on peut s'aider du petit lexique aristotélicien au livre 5 (Δ) de la Métaphysique qui commence justement par ces deux termes.

    Un Principe (ἀρχή) veut dire en grec un "Commencement" (mais aussi un "Commandement" car ce qui est à l'origine est aussi ce qui dirige ensuite). Un Principe peut donc s'entendre en plusieurs sens :
    • (1) un point de départ (d'un chemin)
    • (2) le meilleur point de départ d'une science
    • (3) le premier élément qui sert de base (la fondation d'une maison, le coeur d'un animal)
    • (4) ce qui déclenche la naissance (le père est le principe du fils, cette offense est le principe de cette guerre)
    • (5) ce qui est réfléchi ou pensé pour diriger et changer quelque chose (un roi est au principe d'une monarchie, l'architecture est au principe de la maison)
    • (6) une proposition dont on part dans une démonstration, une prémisse ou bien une proposition immédiate (Seconds Analytiques, I, 2, 72 a 7 "Une proposition immédiate est une proposition à laquelle aucune autre n'est antérieure").
    Le Lexique de Métaphysique Delta précise que toute Cause est un Principe (et en effet, le sens n°4 et n°5 notamment reprennent des sens de ce qu'on appellera une Cause). Il y a des Principes de ce qui est ou de ce qui est engendré et des Principes de la Connaissance. On reviendra plus précisément à la Cause en arrivant au Livre II (et en relisant Métaphysique Δ, 2 qui cite justement Physique II, 3). Mais on dira seulement pour l'instant que le Principe est tout "ce à partir de quoi" quelque chose est, alors que la notion de Cause (αἰτία) renvoie plus précisément à des termes d'une explication (le pourquoi). Dans ce commencement de la Physique, les trois (ou deux) Principes premiers apparaissent plus fondamentaux ou transversaux pour toute science que la typologie des quatre réponses à la question pourquoi.
  • Analyse du complexe pour remonter aux Principes

    L'objet est donc les Principes de la Physique. La méthode va partir dans l'analyse des données car "ce qui est plus simple et plus clair pour nous n'est pas ce qui absolument plus simple ou plus clair par nature".

    C'est ici une nouvelle distinction qui porte sur le terme "Antérieur" (πρότερον). Ce qui est antérieur ou plus connu est en effet comme de nombreux termes aristotéliciens à analyser selon une équivocité. "Antérieur" se dit en plusieurs sens, comme le mot "Être" ou le mot "Bien". Aristote explique plusieurs fois ces divers sens d'Antérieur en Métaphysique Δ, 11, 1018b29-35 (plutôt que la référence que donne Pierre Pellegrin en Δ, 1), Z,3, 1029b3, Seconds Analytiques I, 2, 71b33, Topiques VI, 4, 141b3, De l'Âme II, 2, 413 a 11, Ethique à Nicomaque, I, 2, 1095b2.

    "L'antérieur selon la connaissance est considéré comme un antérieur absolu [selon la nature]. L'antérieur selon l'ordre logique n'est pas le même que l'antérieur selon l'ordre sensible. Dans l'ordre logique, c'est l'universel qui est antérieur ; dans l'ordre sensible c'est l'individuel."
    (Méta. Δ, 11)

    "Il est nécessaire de progresser de ce qui est plus obscur par nature mais plus clair pour nous vers ce qui est plus clair et plus connu par nature. Mais ce qui est d'abord évident et clair pour nous ce sont plutôt les ensembles confus (sunkekhumena), mais ensuite à partir de ceux-ci deviennent connus pour celui qui les divise leurs éléments et leurs principes. C'est pourquoi il faut aller des universels aux particuliers, car la totalité est plus connue selon la sensation, et l'universel est une certaine totalité ; en effet l'universel comprend plusieurs choses comme parties."
    (Physique I, 1, 184a18-26)

    Ce passage sur le clair et l'obscur est justement assez obscur car le vocabulaire d'Aristote est encore assez fluctuant.

    Il dit que le plus connu pour nous commence par le chaos sensible confus mais il l'appelle ensuite une sorte d'universel indifférencié dont il s'agit ensuite de revenir aux cas particuliers.

    Or il disait d'habitude que le commencement pour nous est l'individuel dans le sensible et qu'on s'élève ensuite vers l'universel. Ici, il parle d'une sorte d'universel (τὸ καθόλον) en un autre sens comme une "totalité" première, une sorte de première donnée sensible dont il s'agit d'analyser ensuite les parties.

    Il faut lire les Seconds Analytiques II, 19, 100a 6-16 qui expliquent comment l'Âme humaine accède aux Principes par induction à partir des individus sensibles. Aristote y écrit que l'Âme (qui n'a pas d'idées innées latentes en dehors de ce qui lui donne la sensation) perçoit dès l'expérience sensible l'universel.

    Alain de Libéra a commenté ce passage comme une théorie de l'abstraction par le "Ralliement dans une déroute du sensible" (La querelle des universaux, p. 94-96 "le modèle machiste" et L'art des généralités p. 26-27).

    De même que lors d'une bataille, une discipline dans l'armée ramène progressivement un ordre à des individus en chaos, de même la perception stabiliserait à partir des divers sensibles les espèces : je vois Socrate mais je vois aussi un homme. C'est ici le rôle d'une Intuition comme cognition immédiate pour arriver aux Principes.

    D'où la belle formule qui finit les Seconds Analytiques II, 19, 100b, 15-16, selon laquelle on ne peut pas connaître les premiers Principes sans l'intuition intellectuelle (le "νοῦς" d'habitude traduit "Intellect" ou "Intelligence"). "Intuition" est ici le terme utilisé pour exprimer une saisie immédiate des vérités, à la place d'une déduction purement formelle ou d'un raisonnement syllogistique :


    C'est l'intuition qui est le Principe de la science.

    L'intuition est le Principe du Principe lui-même, et la science se comporte à l'égard de l'ensemble des choses comme l'intuition à l'égard du Principe.


    Mais le Dieu d'Aristote ne pratique pas de science (qui doit partir de Principes) car il atteint immédiatement une intuition intellectuelle de tout ce qui est pensable, alors que notre intuition doit s'élever du chaos sensible vers des formes et des principes plus simples.

    La recherche des principes va donc remonter en divisant, analyser ce divers pour arriver à un nombre minimal d'éléments fondamentaux, suffisants pour expliquer tout événement physique.

  • dimanche 13 décembre 2009

    Sexe textuel



    Le sexe présente vraiment un problème littéraire. Toute écriture "neutre" deviendrait froide et anatomique et tout jeu de métaphores poétiques devient ridicule, kitsch, hypocrite et fuyant comme si le sexe était un cas où le symbolique ne peut épouser ni le réel ni l'imaginaire (et les étreintes de "catleyas" semblaient une allusion au fait de fuir la description de cette scène "personnelle" par un jeu de signes "intimes").

    Jonathan Littell gagne la Bad Sex Award avec une scène des Bienveillantes (le Prix Goncourt 2006) qui semble tomber dans les deux défauts opposés à la fois : anatomie impersonnelle et allusions littéraires gratuites (à la mythologie grecque).

    Mais quelqu'un connaît des scènes de sexe qui seraient vraiment par contraste "bonnes" (je ne dis pas seulement excitantes, car cela semble relativement plus facile, même si une scène pourrait être "belle" sans réussir à être très "suggestive" pour autant), sans être des périphrases évasives ?

    United States of Goldmansachsia



    Matt Taibbi a un long article, Obama's Big Sell-out dans Rolling Stone sur l'équipe économique d'Obama, accusée d'être entièrement sous la domination de Robert Rubin, le Secrétaire au Trésor sous Clinton et ancien membre du Conseil d'administration de Goldman-Sachs, la compagnie de l'oligarchie financière qui a l'air de jouer le rôle politique principal aux USA. C'est la suite d'une longue croisade de Taibbi contre le rôle étouffant de Goldman-Sachs sur la plus puissante ploutocratie de notre planète.

    (En passant, Chelsea Clinton, la fille de Bill et Hillary, vient d'annoncer ses fiançailles avec Marc Mezvinsky, lui aussi fils de deux élus au Congrès (son père, Représentant de l'Iowa, fut d'ailleurs accusé de fraude financière) et qui travaille maintenant pour... Goldman-Sachs)

    Matt Taibbi exagère peut-être un peu l'image de populiste réformiste d'Obama en 2008. Krugman répétait à l'époque que le Plan Santé d'Hillary Clinton (pourtant aussi payée par les assurances de santé) était à la gauche de celui d'Obama. L'échec actuel de l'Option publique sur la Santé vient surtout de rapports de forces au Sénat et notamment de Sénateurs corrompus et mesquins comme Joe Lieberman (qui n'a même pas l'excuse comme les Sénateurs sudistes de craindre un électorat plus conservateur que lui !), mais l'Administration Obama a peut-être manqué d'énergie dans cette direction. La réforme actuelle ne remettra pas profondément en cause ce pouvoir des assurances privées.

    Mais même si Obama était bien plus centriste et modéré qu'on ne le présentait, il reste qu'il a repris des partisans de la dérégulation à un moment où il aurait été possible de faire jouer une "re-régulation" bien plus sérieuse.

    Certes, le contexte de la Crise boursière a favorisé cette réaction conservatrice d'Obama que Taibbi présente comme une trahison. Les critiques se seraient accumulées contre le nouveau Président s'il ne s'était pas entouré de personnalités avec une expérience financière suffisante et il reprit donc les Démocrates centre-droit richissimes de l'Administration Clinton. Mais ce n'était pas de la candeur ou une erreur, bien un choix de continuer la même oligarchie.

    Tim Fernholz critique quelques détails de l'article de Taibbi mais cela semble assez insignifiant, comme le montre la longue réponse de Taibbi sur son blog. En fait, l'attaque de Fernholz me semble plutôt renforcer le sérieux de l'argument initial en ne trouvant que des points secondaires à corriger. Matt Yglesias a une critique plus intéressante en disant que le problème est plus étendu à tout le Parti démocrate, voire à toute la structure politique américaine et non pas seulement à des choix personnels d'Obama, mais cela ne me semble pas remettre en cause en profondeur le sarcasme de Taibbi.

    Le problème de Taibbi est qu'il a raison (même Ferholz le reconnaît) mais qu'il écrit dans un style tranchant, avec des formules insultantes et avec une rare violence qu'on n'attend généralement que dans des pamphlets simplificateurs d'extrême gauche, alors qu'il connaît vraiment bien son sujet sur les rapports entre crimes financiers et politique. On donne des Pulitzer à la Soupe des Thomas Friedman mais il est visible que c'est Taibbi qui fait vraiment vivre la fonction mythique de contre-pouvoir du journalisme.

    samedi 12 décembre 2009

    Galimafrée



  • Le vrai signe d'une autorité symbolique dans ce pays est lorsque même Libération n'ose pas faire de jeu de mots vaseux sur votre état dans le coma. Hier matin, je souriais devant le titre du Parisien ("Inquiétude devant l'état de Johnny") avant de voir que Libération avait exactement pris la même manchette.

    BFM faisait ce matin un reportage sur les incidences économiques que cela aurait... sur la carrière des sosies. Si on regarde Las Vegas, ils n'ont pas trop de souci immédiat à se faire.

    Je me demande ce qu'il restera des chanteurs français dans un siècle. On aimerait croire que Brassens survivra mais qui se souvient de Béranger ? (oui, Jean-Louis Murat en enregistré du Béranger, mais je ne crois pas que cela ait marqué) Certains facteurs comme la notoriété aux USA compteront plus que tout mérite et en ce cas, une chanteuse comme Edith Piaf a un peu plus de chances qu'on se souvienne d'elle que la plupart.



  • Tout le monde a déjà dû voir le fameux doublage d'une chanson de Luc Plamondon par les ministres et les jeunes UMP.

    C'est une chanson de 1976 (dans une version chantée par la Star Academy au Québec) qui prend un mélange de vague messianisme soixante-huitard affadi et d'évangélisme charismatique : "Tous ceux qui veulent changer le monde, venez marcher, venez chanter". Dati entend la Révolte qui gronde. Frédéric Lefebvre en train de faire un goatse avec les mains, cela vaut certes le coup.

    Il y a déjà de nombreuses parodies comme celle-ci (un peu violent). Je me demande pourquoi le Medef et l'UMP aiment tant cette forme de Lipdub (on se souvient de leur publicité pendant les Européennes, où la voix de Xavier Bertrand était prononcée par divers cadres).

    Mais je suis un peu de mauvaise foi, car quand l'équipe Obama avait fait une sorte d'équivalent avec les Misbaracks, j'avais trouvé cela infiniment meilleur (malgré le contre-sens historique sur la révolte ratée de 1832 prise pour un chant d'espérance).

  • L'an dernier, la réforme Darcos sur le lycée disait vouloir réhabiliter la filière L en ajoutant plus de mathématiques.

    Cette année, la réforme Chatel sur le lycée dit vouloir réhabiliter la filière L, en retirant les mathématiques en Première aussi (elles ont déjà été retirées en Terminales).

    Je ne sais absolument pas comment réhabiliter la filière L et je reconnais que c'est une intention louable. Mais sans aucun procès, je crois pouvoir savoir que ce n'est absolument pas la vraie intention de cette réforme.

  • Dans le Charlie-Hebdo de la semaine dernière, il y a un reportage dont je m'étonne qu'il ne fasse pas plus de bruit et qui semble prouver que la France protège encore aujourd'hui sur son territoire des mouvements séditieux de Hutus (y compris des organisateurs du génocide de 1994) qui mènent la guerre au Rwanda. Pourquoi les médias n'ont-ils pas repris cela ? Cela semble conforter les hypothèses les plus sombres sur notre politique passée contre les Tutsis.

  • Le Fatals Picards sur les Enfoirés :


  • Dans une volonté inconsciente de lutter contre le capitalisme, assurément, j'ai égaré hier dans le bus un livre de Jean-Claude Michéa. J'espère que toute personne qui le trouvera en fera bon usage.
  • jeudi 10 décembre 2009

    La doxa des philosophes



    David Chalmers (qui avait déjà fait un sondage de mathématiciens il y a quelques années pour savoir combien croyaient à l'Hypothèse indémontrable du Continu) a les résultats d'un grand sondage sur plusieurs centaines de philosophes américains sur plusieurs problèmes classiques de la philosophie.

    Ce qui se détache est un très fort athéisme (72%). Le taux ne tourne qu'autour de 5% dans la population générale aux USA mais j'ignore le taux général chez tous les Américains qui ont un PhD.

    Ce qui m'a plus étonné est le faible taux de ceux qui croient au Libre-arbitre (14%). Leiter, de manière assez habile et plausible, pense qu'il y a une corrélation forte entre le théisme et le fait de vraiment croire au libre-arbitre. 60% sont compatibilistes (ce qui confirme que Daniel Dennett exagérait en présentant son compatibilisme comme original, c'est un peu la position par défaut des philosophes anglo-saxons). J'ai l'impression que les philosophes athées français seraient beaucoup plus marqués par la tradition du libre-arbitre cartésien (ou qu'il y aurait plus de Déterminismes purs, à cause du prestige de Spinoza).

    Sur les autres problèmes, les philosophes sont assez fortement "réalistes" (y compris sur l'existence objective de valeurs morales). L'argument holiste-empiriste de Quine contre la distinction analytique/synthétique n'a pas autant de succès que je le pensais avec 65% en faveur du clivage.

    La théorie éthique semble curieusement partagée à égalité entre les trois variantes principales (Déontologie, Conséquentialisme ou Ethique de la Vertu). Je savais que le Conséquentialisme était en déclin depuis les années 60 et les grandes critiques d'Anscombe ou Williams mais je n'imaginais pas que la Déontologie était encore si dominante. De manière assez contradictoire, dans le problème du Chariot (Trolley), une forte majorité vote pour la solution conséquentialiste.

    mercredi 9 décembre 2009

    Du Sédiment immonboïde

    ou un récit d'une souris secourable

    par Hector-Hugh Munro (1870-1916), The Chronicles of Clovis, 1911.


    « Je désirerais demander la main de votre fille » déclara Mark Spayley avec un empressement tremblant. « Je ne suis qu'un artiste avec un revenu de deux cents livres par an, et elle est la fille d'un homme immensément riche, donc je suppose que vous estimerez ma proposition pleine de présomption. »

    Duncan Dullamy, le grand gonfleur d'entreprises, ne manifestait aucun signe extérieur de mécontentement. En fait, il était secrètement soulagé à la perspective de trouver même un mari de deux cents livres par an pour sa fille Léonore. Une crise menaçait de s'abattre sous peu, dont il savait qu'il allait sortir sans argent ni crédit ; toutes ses affaires financières récentes étaient tombées à plat, et la plus plate de toutes était le merveilleux aliment pour le petit-déjeuner, Pipenta, sur la publicité de laquelle il avait déjà investi des sommes énormes. On ne pouvait même pas l'appeler un médicament, car les gens achetaient des médicaments ; personne n'achetait du Pipenta.

    « Epouseriez-vous Leonore si elle était la fille d'un pauvre homme ? », demanda l'homme à la richesse fantômatique.

    « Oui », dit Mark, en évitant judicieusement l'erreur de protester de manière excessive. Et à son grand étonnement, le père de Léonore accorda non seulement son consentement, mais suggéra aussi une date assez proche pour le mariage.

    « Je voudrais pouvoir vous témoigner de ma reconnaissance en quelque manière », déclara Mark avec une émotion véritable. « Je crains que ce ne soit peu comme la souris qui propose d'aider le lion. »

    « Trouvez un moyen d'inciter les gens à acheter de cette gadoue immonde », dit Dullamy, en désignant avec véhémence une affiche de la Pipenta tant honnie, et vous aurez fait plus que n'importe lequel de mes agents n'a été en mesure d'accomplir. »

    « Cela a besoin d'un nom mieux adapté, dit Mark en réfléchissant, et quelque chose de plus distinctif dans la campagne d'affichage. De toute façon, je vais tenter un coup d'essai. »

    Trois semaines plus tard, on annonça monde l'arrivée d'une nouvelle préparation pour le petit déjeuner, sous le nom frappant de "Sédiment immonboïde" (Filboid Studge). Mark Spayley n'usa pas d'images de gros bébés poussant comme des champignons sous son influence, ni de célébrités des principaux pays du monde en train de se bousculer pour en avoir. Une seule immense affiche sombre dépeignait les Damnés de l'Enfer en train de souffrir d'un nouveau tourment parce qu'il ne pouvait pas obtenir de Sédiment immonboïde que de jeunes démons élégants tenaient dans des bols transparents juste hors de leur portée. La scène était rendue encore plus horrible par une suggestion subtile des traits de quelques célébrités dans la représentation de ces Âmes perdues, des personnalités des deux partis politiques, quelques Dames du monde, des auteurs dramatiques et des romanciers renommés, des aviateurs distingués étaient reconnaissables dans cette assemblée déchue ; des gloires de la comédie musicale scintillaient dans les ombres de cet Enfer, souriant encore par la force de l'habitude, mais avec la rage redoutable de l'effort perplexe. L'affiche ne portait aucune allusion appuyée aux mérites du nouvel aliment de petit déjeuner, mais on pouvait lire à la base un unique et sinistre énoncé en caractères gras :

    "ILS NE PEUVENT PLUS L'ACHETER MAINTENANT."


    Spayley avait saisi le fait que les gens feront des choses par sens du devoir qu'ils n'auraient jamais tenté par plaisir. Il y a des milliers d'hommes respectables de classe moyenne qui, si vous les trouviez à l'improviste dans un bain turc, expliqeraient en toute sincérité que le médecin leur a ordonné de prendre des bains turcs ; si vous leur disiez que vous êtes venu là parce que vous aimiez cela, ils se regarderaient avec un étonnement peiné de la frivolité de votre motif. De la même manière, chaque fois qu'un massacre des Arméniens est signalé en Asie Mineure, tout le monde suppose qu'il a été effectuée "sous les ordres" de quelque part ou d'une autre, personne ne semble penser qu'il y aient des gens qui pourraient AIMER tuer leurs prochains de temps en temps.

    Et il en était de même avec le nouvel aliment du petit déjeuner. Personne n'aurait mangé du Sédiment immonboïde par plaisir, mais la sombre austérité de son message publicitaire poussa les ménagères en masse vers les épiciers pour en réclamer une fourniture immédiate. Dans les petites cuisines, des jeunes filles aux cheveux nattés aidaient leurs mères déprimées à accomplir le rituel primitif de sa préparation. On l'ingérait silencieusement sur les tables du petit déjeuner de salons mornes.

    Une fois que la gent féminine découvrit qu'il était absolument immangeable, leur zèle à l'imposer à tout leur foyer ne connut plus de limite. « Tu n'as pas mangé ton Sédiment immonboïde ! » criait-on à l'employé qui en perdait l'appétit, en s'enfuyant de table pour retrouver en entrée de son souper la sâleté réchauffée qu'on expliquait comme "ton Sediment immonboïde que tu n'avais pas mangé ce matin."

    Ces fanatiques étranges qui se mortifient de manière obstentatoire, intérieurement et extérieurement, avec des biscuits de santé et des vêtements de santé, se jetaient de manière agressive sur le nouvel aliment. Des jeunes gens sérieux et à lunettes les dévoraient sur les marches du Club national libéral. Un évêque qui ne croyait pas en une Vie future prêcha contre l'affiche, et la fille d'un Pair du Royaume mourut d'avoir trop absorbé de ce mélange. Le produit gagna encore plus de publicité lorsqu'un régiment d'infanterie se mutina et fusilla ses officiers plutôt que d'avoir à avaler cette abjection nauséabonde. Heureusement, Lord Birrell de Blatherstone, qui était ministre de la Guerre à ce moment-là, sauva la situation par son heureux épigramme, que « la discipline pour être efficace doit être facultative ».

    Le Sédiment immonboïde était devenu un nom familier, mais Dullamy se rendit compte avec sagacité que ce n'était pas nécessairement le dernier mot dans la diététique du petit-déjeuner ; sa suprématie serait remis en cause dès qu'une nourriture encore plus dégoutante serait mise sur le marché. Il pourrait même y avoir une réaction en faveur de quelque chose de savoureux et appétissant, et l'austérité puritaine du moment pourrait être bannie de la cuisine domestique. À un moment opportun, par conséquent, il vendit ses intérêts dans l'article qui lui avait apporté une richesse colossale à un moment critique, et avait placé sa réputation financière au-delà de tout risque. Quant à Léonore, qui était maintenant une héritière sur une échelle beaucoup plus grande que jamais auparavant, il trouva naturellement pour elle sur le marché des maris quelqu'un de plus prospère qu'un créateur d'affiches qui gagnait deux cent livres par an. Mark Spayley, la Souris astucieuse qui avait aidé le Lion financier avec des effet si fâcheux, en fut réduit à maudire le jour où il avait produit l'affiche miraculeuse.

    « Après tout, dit Clovis, en le rencontrant peu de temps après à son Club, vous avez cette consolation douteuse qu'il n'appartient pas aux mortels de révoquer leur réussite."





    Note : 200 livres sterling de 1911 devraient représenter selon l'inflation entre £18,961 de 2010 ou même £95,625 si on tient compte de tout le PIB. L'artiste n'est donc pas pauvre en parité de pouvoir d'achat mais la conversion est floue (entre 20k et 100k).

    Clovis, le narrateur, est une sorte d'anticipation de Bertram Wooster de Wodehouse, un prospère et indolent habitué des Clubs. Saki, qui a directement inspiré l'humour noir de Kurt Vonnegut, semble ici être surtout satirique sur le Parti libéral au pouvoir (comme l'indique le titre imaginaire de Lord Birrell "of Blatherstone").

    L'humour est surévalué



    Sarah Palin, qui n'a sans doute besoin d'aucun ghostwriter pour exprimer tout son ressentiment, était invitée au Dîner Gridiron où la coutume veut qu'on montre son humour :

    Who would have guessed that I’d be palling around with this group? At least now I can put a face to all the newspapers I read.

    It is good to be here and in front of this audience of leading journalists and intellectuals. Or, as I call it, a death panel.


    La dernière plaisanterie sur ses propos démagogues contre les Tribunaux de la Mort me fait un peu penser à celles de Bush où il disait chercher les Armes de destruction massive dans la niche de son chien. Ce sont des degrés nouveaux où l'humour auto-dépréciateur semble se glacer dans le fond cynique de son auto-dénonciation. Les humoristes disent souvent "It's funny cause it's true" mais l'inverse est vrai aussi, c'est sinistre quand c'est un peu trop vrai.

    mardi 8 décembre 2009

    Mardi, c'est Aristote



    Ce blog velléitaire se donne souvent des résolutions qu'il n'arrive ensuite pas à tenir (Projet Œcumène, les jeux de rôle de superhéros, Bernard Williams, le jeu de rôle Bhāratavarṣa, les Contes du Vampire ou l'échec devant la lecture suivie de Infinite Jest cet été.

    Je vais donc ajouter un autre projet à toutes ces ébauches inachevées en me mettant à un projet plus élevé encore : la lecture commentée d'Aristote. En un sens, tout commentaire de notre civilisation est toujours une glose à Aristote, alors autant le faire vraiment.

    Je veux me concentrer sur la Physique parce que je connais un peu l'oeuvre logique et éthique. Mais comme je suis mauvais en mathématiques, j'ai toujours sauté les parties plus denses (c'est le cas de le dire) sur la divisibilité à l'infini et la critique de Zénon d'Elée, qui est un des legs principaux de ce livre génial.

    Heidegger, qui aimait ce genre de paradoxes, disait (dans les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie, un cours de 1927 sur Physique IV, résumé dans Être et Temps au §81) que la Physique d'Aristote n'avait rien à voir avec notre Physique puisque c'était un livre de philosophie et d'ontologie antérieur à la scission entre Philosophie et Physique. Mais en un sens, il reprochait aussi implicitement à Aristote d'avoir instauré des choix et des concepts fondamentaux sur le Temps, l'Espace et le Mouvement qui allait conduire la métaphysique à la séparation des sciences de la nature. Le scientifique peut juger qu'Aristote n'est pas assez galiléen ou pas assez newtonien, mais Heidegger lui reprocherait plutôt de l'être déjà trop et d'ouvrir la voie vers une réduction future de tout étant à des mouvements spatiaux (encore que Démocrite serait peut-être plus responsable qu'Aristote).

    On peut voir en Aristote le fondateur d'une philosophie de la différence entre physique et philosophie. Son cours de "Physique" va consister à séparer l'étude de la Nature (et des Causes du Changement Naturel) d'une Science désirée de l'être en tant qu'être et d'une Théologie. La tradition pourrait y voir une "Philosophie de la Nature", ou une "ontologie" régionale comme dirait Husserl, une étude des étants physiques ou naturels alors qu'Aristote est capable de penser l'autonomie des disciplines qu'il est en train de créer dans notre tradition. La Physique va avoir ses problèmes propres, ses principes, sa différence avec la Science désirée et la Théologie, sans être une "application" locale. Le génie d'Aristote est de refuser de réduire ainsi la Physique à une Logique ou une ontologie abstraite de l'Être (les Eléates) mais aussi à un Mécanisme géométrique (les Matérialistes), au nom de la Finalité du vivant et du désir universel vers le Bien et le Premier Moteur.

    Le thème principal de la Physique est le problème du Changement (ou plus précisément du "Mouvement", κίνησις, au sens aristotélicien, ce qui comprend le mouvement local mais aussi l'altération qualitative et le changement quantitatif). Il faut montrer que le Changement est possible et comprendre ses modalités. La Physique va donc se limiter en théorie à ce domaine, qui est celui des êtres mus, par opposition aux abstractions immobiles (Mathématiques) et à un Bien qui serait Premier Moteur (Théologie).

    L'unité de la Physique n'est donc pas par le substrat matériel mais par le devenir. Est physique ce qui change, ou plus précisément ce qui se meut, le mobile et l'auto-mobile. Le projet de cette Physique est de s'insérer entre une Unité éternelle et la diversité indéterminée, dans ce domaine du passage.

    En un sens, malgré le nom donné par les éditeurs à la "Métaphysique" (après la Physique), on pourrait se demander si ce livre ne devrait pas être étudié avant puisque les renvois sont continuels entre les deux livres et que la Métaphysique semble plus générale. Mais il semble bien qu'entre les deux, on parte du problème du Changement pour celui de l'Être. Curieusement, le Changement d'un Être (que ce soit d'une Substance ou d'un Accident) n'est pas lui-même analysé comme un accident mais comme une sorte de passage entre les accidents, on le verra (ou comme le diront ensuite les Stoïciens, un "accident d'accident"). Ce choix de la scission entre Changement et Substance (comme condition de possibilité et d'intelligibilité du Changement), entre Physique et Métaphysique est déjà une thèse ontologique, celle du refus d'une ontologie d'événements (ce qui commencera vraiment à être pris au sérieux avec Whitehead et Russell).

    La Physique est composée de 8 livres, qui ont beaucoup plus d'unité dans leur progression que les 14 livres un peu chaotiques de la "Métaphysique" qui tournent autour de la Substance et de ses Accidents, qu'il y ait changement ou pas (cf. le synopsis).

  • Livre I : Les Principes (Forme et Substrat) 184a-192b
  • Livre II : Les Quatre Causes du Changement (Forme, Matière, Mouvement, Finalité), Hasard et Nécessité. 192b-200b

  • Livre III : Le Mouvement et l'Infini 200b-2008a
  • Livre IV : Le Lieu et le Temps 2008a-224a

  • Livre V : Analyse générale du Changement 224a-230b
  • Livre VI : Analyse et divisibilité du Mouvement, Théorie de la Continuité 231a-241a
  • Livre VII : Du Premier Moteur à la Mesure de la Dynamique 241b-250b
  • Livre VIII : Du Mouvement dans le Temps au Mouvement Eternel 250b-267b


  • On le voit, les deux premiers chapitres portent sur des "principes" et des "causes" généraux qui peuvent rappeler les premiers livres de la Métaphysique. Les deux derniers livres confinent en revanche à la Théologie du Livre XII (Λ) de la Métaphysique. Le Livre XI (K, sans doute apocryphe) de la Métaphysique résume les livres III et V de la Physique.

    Le plan est un peu inégal comme le Livre IV sur le Lieu, l'inexistence du Vide et le Temps ou le Livre VIII sur le Mouvement éternel sont plus longs que les autres.

    dimanche 6 décembre 2009

    Well-Known for Being Well-Known



    Cornel West (qui apparaissait comme l'une des stars dans le documentaire Examined Life d'Astra Taylor) me paraît être un auteur qui aurait pu être important mais qui est maintenant plus connu pour cette virtualité que pour son oeuvre - même s'il pourrait toujours se réinventer. Ancien élève de Richard Rorty (l'ex-philosophe analytique passé vers une forme de pragmatisme proche de Derrida), Cornel West a une culture très vaste, notamment sur le transcendantalisme cher à Cavell ou le pragmatisme américain, il a une sensibilité artistique qui aurait pu en faire un critique ou un esthète mais, à ma connaissance, il s'est un peu confiné dans des essais "culturels" sur le pragmatisme, la religion (West étant en gros un Chrétien de gauche, proche des Verts et des Sociaux Démocrates américains) et les "études afro-américaines". Il n'est pas dans les Départements de Philosophie mais bien dans ceux de Religion ou bien de Littérature.

    Scott McLemee est un critique et chroniqueur (ex-Trotskyiste) devenu maintenant légendaire dans la blogosphère pour ses descentes de BHL (comme celle-ci ou celle-ci) et sa revue en ligne sur le monde universitaire Inside Higher Ed. Il a écrit une recension féroce du dernier livre d'entretien de Cornel West au titre spenglerien Decline of the West, qui revient à peu près à dire que West serait un peu le BHL américain : quelques diplômes prestigieux, des essais faciles à lire mais au style un peu affecté, une reconnaissance médiatique, une absence d'oeuvre philosophique (il manque quand même à West le pouvoir éditorial et mondain qu'avait BHL à Grasset ou dans la presse).

    But the painful truth is that West's work has grown ever less substantial over time. He has gone from being a public intellectual into a mere celebrity -- someone well-known for being well-known.


    Crooked Timber a toute une enfilade épique - 350 commentaires à l'heure où j'écris - où la plupart soutiennent l'attaque de leur collaborateur McLemee et d'autres pensent qu'en réalité certaines des attaques contre West n'auraient pas été faites contre un intellectuel de la même position s'il était Blanc, ce qui me paraît douteux. Le problème est que Cornel West, malgré toute sa culture, est tombé très vite dans une auto-caricature. Son refrain constant sur "le Jazzman de la philosophie" paraît une formule vide tant qu'il n'en tirera pas quelque chose de plus complexe qu'une prédication édifiante.

    Mais il n'y a pas que de la "rectitude politique" dans ce débat sur le statut de West. Comme le fait remarquer Michael Berubé, la dernière phrase de cette review du documentaire sur Examined Life, qui compare West à un "maquereau" (pimp) manifeste des symptômes de racisme.