mercredi 30 avril 2008

Olla-podrida

(ah, non, rassurez-vous, je sais bien que vous n'en avez jamais marre que j'utilise toujours le même titre Galimafrée pour éviter de dire misc., divers ou zut, je n'ai pas d'idée de titre comme toute personne un peu normale)

  • Cette parodie sur Darcos entre au Firmament Céleste comme Paradigme Parfait de la Fausse Bonne Idée. Et pourtant, je dois dire que je suis moi-même un spécialiste en Fausses Bonnes Idées, c'est même un peu mon métier en fait.

    On peut reprocher bien des choses à la réforme des programmes du primaire (il y a plus de sport, moins de sciences et moins d'histoire, et Darcos lèche les bottes du Jetsetteur-Rien-à-Battre, non, ça n'a rien à voir, mais c'est répréhensible quand même). Mais (je commence une phrase par une conjonction de coordination si je veux) choisir l'angle selon lequel sa réforme serait trop fondée sur des théories pédagogiques behavioristes (ah, la référence doit venir du film les Sous-doués passent le Bac plus que des sciences cognitives) est un peu comme reprocher à notre Chef de l'Etat bien aimé d'être trop formaliste, trop scrupuleux ou trop laïcard (pour ceux qui étaient délocalisés l'année dernière, non, il ne l'était à aucun point de vue).

    Symétriquement, le fait que la réforme soit dirigée en secret par une cabale du Glorieux Camp Républicain anti-Pédagogiste qui soutient l'Instruction Publique contre l'Obscurantisme Allégrien (dont, paraît-il, Delord, qui m'avait l'air assez sérieux malgré sa véhémence et un passage sur Radio Courtoisie) et qu'elle déplaise à Meirieu ne suffit pas non plus à dire qu'elle soit bonne. Enfin, disons que ce n'est pas une démonstration apodictique en tout cas.

    Le problème n'est pas que la réforme soit "réactionnaire" comme le disent les syndicats du primaire. Delord pense vraiment sincèrement que les programmes de 1924 étaient meilleurs que ceux après 68 et surtout ceux après 88, qui aurait été la vraie rupture, et il se pourrait que ce soit vrai, je n'en sais rien). Sans croire à un progressisme dogmatique, on peut quand même émettre des doutes sur l'idée de restaurer l'autorité de manière volontariste par des cours de morale (et non pas seulement d'instruction civique, qui existent déjà). Il y a des raisons profondes et pas accidentelles pour l'érosion de l'autorité et le fait que même les maîtres n'y croient plus.

  • Vous vous demandez sans doute souvent comment distinguer en dessinant une jupe et un moule à muffin.

    Heureusement, Rachelle a un guide pratique pour les dessinateurs incompétents.

    (mais franchement qu'attendre d'Ian Churchill, le "dessinateur" des Teen Tutus, alors qu'il a dû apprendre à gribouiller en recopiant du Liefeld).

    Et puisqu'on parle de comics, j'aime bien ce bilan d'un an d'échecs chez DC Comics et comment ils ont gâché l'année 2007-2008 après le succès de 52. La série hebdomadaire Countdown fut un succès relatif du point de vue des ventes (vendant 75 000 exemplaires chaque semaine, soit la moitié que 52 mais plus que tous les autres titres) mais c'est un message ambigu comme c'était vraiment un comic complètement raté et qu'on ne veut pas d'habitude qu'un éditeur soit représenté ainsi par si piètre exemple. Et je crains que ça ne s'améliore pas d'après ce spoiler pour ce qui sort ce mercredi.

  • Le cirque autour de Wright et Obama m'a fait évoluer dans le sens inverse de l'opinion. Je trouvais la rhétorique d'Obama parfois un peu vide mais il a plutôt bien géré la situation (même si la plupart des commentateurs jugent qu'il a été trop lent) et son discours de Philadelphie était en effet superbe. Quant à ce Jeremy Wright, depuis ses propos sur le Sida comme arme fabriquée contre les Noirs (une légende urbaine aussi "prise au sérieux" chez Dieudonné), c'est vraiment à se demander s'il voulait intentionnellement nuire à Obama ou s'il était payé par le camp Clinton. Mais l'hypothèse la plus vraisemblable est que Wright (qui est plus intelligent que son histrionisme pastoral pourrait le laisser penser) est pris au piège et se sent lui-même victime de tout cela.

  • C'est la première fois avec Gianni Alemanno (résister à toute plaisanterie sur son nom tedesco) depuis 1943 que la mairie de Rome est contrôlée par les Fascistes. Berlusconi tient à leur dire qu'il incarne la nouvelle Phalange...

  • La crise du lait affecte même les Dieux indiens.

    Atrey lamented during one early morning prayer, or puja, adding that donations of milk were down by as much as 50 percent. He had recently met with colleagues from other temples, along with imams from local mosques, who reported similar experiences. "If poor people don't even have enough for bread, how will they donate milk to the gods?" he said.

    (...)

    Milk is literally the nectar of gods in India. Most temples in the south use it at least twice a day to bathe Hindu statues, since it symbolizes the eternal goodness of human beings and is seen as a generous offering to the faith.

    Across the country, milk also symbolizes life and death. Bodies are anointed with purified butter before cremation.


  • Procrastination Vide du Jour : Fenêtre sur Cour (cliquer sur les jumelles pour entrer dans le teaser de cette nouvelle série de HBO) Comme dans La Vie, Mode d'emploi, l'espace de l'immeuble est un moyen intéressant pour faire un film choral avec un narrateur nettement moins fiable que le Jim Stewart du film originel.

  • mardi 29 avril 2008

    Lignages franco-américains



  • Comme tout étudiant, j'ai cru assez fidèlement à la théorie de René Rémond sur les Droites en France qui identifiait dans notre Ve République en gros trois traditions de droite : le légitimisme (catholique et anti-républicain), l'orléanisme (réformiste libéral en politique et surtout en économie, prêt à des compromis politiques) et le bonapartisme (populisme, nationalisme, régime charismatique autoritaire). L'extrême-droite encore représentée dans le pétainisme (et Tixier-Vignancour) hérite du légitimisme. La droite MRP et surtout UDF de Giscard d'Estaing hérite de l'orléanisme (plus que du christianisme social du MRP qui se détache des origines d'extrême-droite et rejoint le centre et la gauche). La droite UDR puis RPR hérite du bonapartisme.

    Ce célèbre modèle marche très bien sur la période 58-88 avant la fusion orléanisme-bonapartisme mais il connaît plusieurs problèmes. Il y a d'une part l'émergence d'une nouvelle variante fasciste qui ne ramène plus du tout au légitimisme. Le FN est la synthèse fragile de deux courants : le pétainisme traditionnaliste (l'ancien journal Présent) et un courant peu religieux, voire païen, plus fascisant, avec en plus des influences d'un ultra-individualisme capitaliste américain dans le Club de l'Horloge (même si l'anti-américanisme continue à dominer dans cette tradition). De plus, la nouvelle droite sarkozyenne n'est pas non plus seulement le bonapartisme. Elle a absorbé une synthèse de l'orléanisme (libéralisme économique) et du bonapartisme (autoritarisme), avec un nouvel aspect religieux et anti-laïc qui n'est là encore qu'une importation directe d'un conservatisme communautariste américain.

  • Je ne citais cette généalogie simple que pour comparer avec cet article [via] de Walter Russell Mead dans le National Interest #58 en 1999 sur la tradition jacksonienne dans la politique et la vie américaine (développé depuis dans son livre Special Providence, 2002). Mead a un goût taxinomique de psychologue des relations internationales.

    Il définit d'abord le Jacksonisme par opposition au Jeffersonnisme. Les deux sont attachés aux droits mais le jeffersonisme défend avant tout les Lumières et la liberté d'expression, alors que le jacksonisme défend la communauté, l'individualisme et le Second Amendement. Le jacksonisme est associé non seulement à la défense de traditions de la communauté mais à un individualisme démocratique belligérant, prêt au duel et aux interventions militaires.

    De ce point de vue, le néo-conservatisme est bien plus un réalisme jacksonien du Droit par la Force qu'une forme étrange de croisade dite "idéaliste" ou "néo-wilsonienne" (et on n'a donc pas à toujours expliquer le néo-conservatisme par une inversion du trotskyisme). Le monde (et en tout cas les Français avant Sarkozy) admire plus le jeffersonisme (qui fut finalement le courant le plus européen ou le plus francophile à la naissance de l'Amérique) mais cela ignore finalement l'importance de la démocratie jacksonienne. Et cette ignorance a un prix.

    Mead définit par ailleurs presque le jacksonisme comme une psychologie de l'honneur (ce qui rappelle la célèbre analyse de la violence sudiste dans Culture of Honor dont je parlais il y a 3 ans). Je suis plus circonspect sur la généralité selon laquelle la culture noire américaine serait plus pénétrée de jacksonisme.

    Puis il distingue face à ce Jacksonisme le Jeffersonisme (droits des minorités), Républicanisme Hamiltonien (les contre-pouvoirs aristocratiques contre la démocratie) et le Wilsonianisme (qui reste assez abstrait, cela me paraît une variante plus interventionniste du Jeffersonisme).


    For Jacksonians, the prime goal of the American people is not the commercial and industrial policy sought by Hamiltonians, nor the administrative excellence in support of moral values that Wilsonians seek, nor Jeffersonian liberty. Jacksonians believe that the government should do everything in its power to promote the well-being—political, moral, economic—of the folk community. Any means are permissible in the service of this end, as long as they do not violate the moral feelings or infringe on the freedoms that Jacksonians believe are essential in their daily lives.

    Jacksonians are instinctively democratic and populist. Hamiltonians mistrust democracy; Wilsonians don’t approve of the political rough and tumble. And while Jeffersonians support democracy in principle, they remain concerned that tyrannical majorities can overrule minority rights. Jacksonians believe that the political and moral instincts of the American people are sound and can be trusted, and that the simpler and more direct the process of government is, the better will be the results. In general, while the other schools welcome the representative character of our democracy, Jacksonians tend to see representative rather than direct institutions as necessary evils, and to believe that governments breed corruption and inefficiency the way picnics breed ants.


    Le Jacksonisme et son mépris du Droit international est bien représenté par le réalisme de John Bolton. Mais surtout, et en cela Mead était très clairvoyant un an avant l'élection de Bush, le Jacksonisme démocratique de la responsabilité individuelle s'allie à une théologie apocalyptique du Péché originel, et donc à un pessimisme foncier sur la nature humaine. Il y a un fond anti-Lumières qui n'est pas que le cynisme de Cheney, c'est bien une négation de la croyance dans le progrès (autre que technologique).

    L'obsession de l'honneur explique aussi un phénomène inexplicable du nationalisme américain. Les Américains critiques contre la politique de leur gouvernement ont toujours du mal à faire accepter l'idée qu'ils ne trahissent pas l'honneur national (alors que les Jacksoniens se méfient pourtant du Big Government et de Washington tout autant que les Jeffersoniens !).

    Pour Mead, cela explique aussi un aspect de la Guerre totale américaine. Le Jacksonien ne conçoit qu'une lutte à mort avec capitulation totale. La Guerre avortée du Golfe en 1991 choquait donc cette tradition et la Guerre en Irak était en partie la volonté de laver cet affront à l'honneur, et non pas seulement la réaction contre le terrorisme d'un monde plus dangereux ou bien la théorie néo-con des dominos démocratiques.

    EDIT : La catégorie du Jacksonisme me paraît un peu flou entre "réalisme" et "interventionnisme faucon". Les néo-con sont des interventionnistes peu réalistes, ce qui réfute mon argument précédent qu'ils tiennent plus du Jacksonisme que du Wilsonisme.

    Un des paradoxes de Bush est qu'il s'est présenté en 2000 sur une position anti-interventionniste et anti-wilsonienne (No Nation Building) et a fini dans une propagande wilsonienne (qui sert d'idéologie derrière un impérialisme plus réaliste de Cheney). Les mensonges sur les liens entre Hussein et le 11/09 étaient faits pour convaincre la base jacksonienne, qui se fiche complètement de répandre la démocratie.

    McCain au contraire est bien plus authentiquement un vrai néo-con (comme le rappelle Yglesias encore aujourd'hui.

    C'est donc au moment où le néo-conservatisme affiché est le plus discrédité qu'il va vraiment arriver au pouvoir (au moins le temps que McCain se rende compte du problème et revienne au réalisme jacksonien).

  • L'hypostase et les natures



  • Rappel de vocabulaire : identité et contrepartie


  • En métaphysique sur l'identité, on a deux grands choix :

    • (1) soit on considère que l'identité n'a qu'un seul sens, strict, identité logique, et en ce cas on ne peut pas vraiment appliquer l'identité aux objets concrets, qui peuvent changer (parce que si "a = b" alors nécessairement, par la Loi de Leibniz, a et b ont les mêmes propriétés), on doit "simuler" l'identité par une autre relation moins stricte qui n'aille pas avec la Loi de Leibniz, par exemple la "coïncidence" ;

    • ou bien

    • (2) on suppose vraiment que cette identité au sens strict peut s'appliquer au changement et aux accidents, mais cela conduit à une métaphysique qui doit soit indexer les propriétés à des temps ou des mondes et distinguer une essence-substance de l'objet et ses propriétés (par exemple le monadisme de Leibniz).



    La théorie des contreparties de Lewis entre dans la première catégorie, d'ersatz d'identité. L'identité vraie conserve toutes les propriétés habituelles mais ce qu'on appelle parfois identité au sens ordinaire est en fait la relation de contrepartie (ou de survie, dans le cas de l'identité personnelle). Cette relation peut être très vague, ne pas même être une relation d'équivalence si on le stipule ainsi et admettre des relations non-bijectives.

    Dans le cas des possibilités, Pierre-qui-renie (Petrus peccator) a des contreparties "Pierre-qui-ne-pèche-pas" dans d'autres mondes possibles mais elles ne sont pas identiques, seulement homologues.

    Dans le cas du changement temporel, vous (tel que vous êtes aujourd'hui) avez une contrepartie hier, qui n'est pas strictement identique avec vous-aujourd'hui, même si vous-hier et vous-ajourd'hui sont des parties d'un objet qu'on peut appeler vous.

    La théorie des contreparties indexe les parties étendues spatio-temporelles d'une entité mais les propriétés appartiennent de manière intemporelle à chaque partie alors que la substance classique contraint à indexer les propriétés accidentelles et transitoires par rapport à une substance intemporelle.

  • Personne et puissances de la phusis


  • Je rappelle ce vocabulaire seulement pour résumer un petit post intéressant de christologie chez Metaphysical Values.

    J'ai souvent pensé aux dieux comme de bons exemples d'entités non-existentes qui pouvaient être intéressante à analyser logiquement en raison de leur statut normatif (les fictions artistiques sont moins rigides dans le statut normatif). Aucun dieu n'existe (sans doute) dans le monde actuel et pourtant il y a bien un sens à définir comment tel dieu X ressemble plus ou moins à tel dieu Y. Le comparatisme a besoin de critères dans ses contreparties.

    La théorie officielle du Crédo trinitariste est "1 = 2 = 3", "Un seul Dieu, mais Trois Personnes" et dans le cas de la Seconde Personne, "Une seule Personne mais Deux Natures", nature divine et humaine. C'est un problème puisque cette Seconde Personne, Dieu et Homme, a des propriétés contradictoires pour ses deux natures : un Dieu est omnipotent alors qu'un humain est par nature non-omnipotent.

    Le théologien américain contemporain (et essayiste populaire) Thomas Morris résout le problème en disant que la Seconde Personne est complètement de nature humaine mais que cela n'exclut pas et ne contredit pas les propriétés surhumaines.

    Le problème est que si la nature humaine n'exclut pas a priori les attributs de perfection, d'omnipotence, d'omniscience, alors cela signifie que ce n'est qu'un fait contingent s'il n'y a pas d'humains qui présenteraient ces attributs. Les hommes ne sont pas actuellement omnipotents mais rien n'empêcheraient qu'ils le soient. Le post-humanisme et le polythéisme (du genre de l'exaltation mormonne) me paraîtraient une conclusion possible de ce raisonnement.

    Ross Cameron propose donc une autre solution se fondant sur les théories de contreparties. De même que vous (aujourd'hui) n'êtes pas identique mais seulement une contre-partie de ce que vous auriez pu être (ou étiez hier), de même JC aurait deux natures divines et humaines : JC-divin satisfait les prédicats divins et JC-humain non, mais JC-humain et JC-divin sont deux modes de la même personne JC.

    JC-divin a la propriété d'être omnipotent : dans tous les mondes possibles, il fait tout ce qu'il veut. JC-humain n'a pas cette propriété. JC-humain ne sait pas tout mais JC-divin a accès à toutes les propositions.

    Le côté qui déplairait à certains théologiens est ce qu'on pourrait appeler la contigence existentielle de l'identité. JC est nécessairement identique à JC, JC-divin existe nécessairement (or la théorie du réalisme modal de Lewis a des problèmes à traiter une vraie identité transmonde d'une entité concrète nécessaire, si ce n'est pas seulement un ensemble ou une classe), mais JC-divin n'est pas nécessairement identique à JC-humain, parce que JC-humain auraient les propriétés de contingence (il aurait pu ne pas exister et donc JC-divin aurait pu ne pas s'incarner en lui). JC-divin serait essentiellement identique à la Seconde Personne alors que JC-humain ne serait qu'accidentellement "identique", "coïncidant" avec le Fils sans être nécessairement identique à cette entité censée être nécessaire.

    Cela flirte finalement un peu avec la doctrine deux personnes-deux natures (Nestorianisme) ou bien les deux natures comme deux aspects séparables (un peu comme la variante apollinariste du monophysisme où la distinction des deux natures est comme la différence psychique de l'âme animale et l'âme intellectuelle).

    lundi 28 avril 2008

    Galimafrée



    Juste quelques lectures dans le train.

  • Le Courrier International n° 912 (24 avril 2008) traduit à l'occasion de son numéro sur le Boson de Higgs un article paru dans New Scientist (#2640, 24 janvier 2008, réservé aux abonnés) qui explique la théorie des Non-particules et Non-gravité de Howard Georgi (en plus des articles sur arxiv, il y a aussi un article gratuit de vulgarisation sur PhysOrg). Georgi parle de sa théorie comme une Invariance d'échelle de ses "Unparticles". La théorie de la relativité d'échelles de Nottale n'est pas du tout mentionnée (dans les courts articles sur arxiv non plus) mais un commentaire de Christophe de Dinechin sur Backreaction évoque rapidement des différences entre la théorie des non-particules (qui semble être la nouvelle mode avec le déclin des Supercordes) et celles de la relativité d'échelle.

    (En parlant de physique théorique, il y a de brefs interviews de John Wheeler publiés à l'occasion de son décès.)

  • Amélie Nothomb a une critique intitulée Habeas corpus contre l'anonymat dans le dernier Charlie-Hebdo.
    Le corps existe par écrit : cela s'appelle la signature. Signer un article, un texte, un message de son nom, c'est produire son corps comme garantie de ce que l'on écrit.

    Sur Internet, le corps est le grand absent. Il n'y a pas de plus vertigineuse impunité potentielle que l'absence du corps. L'anonymat n'est rien d'autre que la représentation verbale de l'absence du corps. Tout texte courageux et juste comporte une signature.


    Cela n'a rien d'original (et j'imagine déjà comment un déconstructionniste jouerait sur la Métaphysique de la Présence que cela présuppose), mais cela me rappelle soudain que le pseudonymat du blog (tout comme le jeu de rôle) est finalement pour moi un des cas de ce que je diagnostiquerai comme mon "absence d'intégrité". L'intégrité selon Williams n'est pas une disposition particulière mais la vertu qui consiste à assumer les actes comme effets de ses dispositions (le "caractère" au sens normatif et non descriptif n'est pas seulement une régularité, ce n'est pas un type de personnalité mais le fait d'assumer sa personnalité, de choisir libement de rigidifier ses choix, se déterminer à être déterminé). Mon imaginaire un peu "monopsychiste" (croyant que toute pensée "singulière" n'est qu'une expression modale d'une même substance) et "réaliste modal" (croyant que l'actuel n'est qu'une expression modale d'une réalité potentielle) m'a souvent conduit à inverser totalement l'intégrité. Je prends mes actes et opinions non pas comme exprimant ce que je suis ou une responsabilité d'un sujet, mais simplement les actes et opinions contingents et arbitraires d'une réalisation possible. En un sens, j'ai des réflexes aberrants parce que je transforme cette absence en une norme. Je crois spontanément que notre devoir serait de tellement généraliser le point de vue objectif que nous considérions notre moi comme un objet non pas vraiment fictif (théorie bouddhiste ou humienne) mais, de manière sceptique, comme un point arbitraire. Au contraire Bernard Williams verrait dans ce "point de vue de nulle part" le signe même du formalisme abstrait des théories morales, contraire à toute éthique humaine ou "saine" qui doit tenir compte de "relativité de valeurs par rapport à l'agent".

  • My father was an alcoholic circus clown who used to beat me with his oversize shoes. Le brillant Matt Taibbi de Rolling Stone infiltre un camp d'évangélistes exorcistes.

    Il a ensuite une remarque qui fait penser qu'il devrait lire Pascal sur la "mécanisation" du rituel :

    Even if you're a degenerate Rolling Stone reporter inwardly chuckling and busting on the whole scene — even if you're intellectually enraged by the ignorance and arrogant prejudice flowing from the mouth of a terminal-ambition case like Phil Fortenberry — outwardly you're swaying to the gospel and singing and praising and acting the part, and those outward ministrations assume a kind of sincerity in themselves. And at the same time, that "inner you" begins to get tired of the whole spectacle and sometimes forgets to protest — in my case checking out into baseball reveries and other daydreams while the outer me did the "work" of singing and praising. At any given moment, which one is the real you?

    You may think you know the answer, but by my third day I began to notice how effortlessly my soft-spoken Matt-mannequin was going through his robotic motions of praise, and I was shocked. For a brief, fleeting moment I could see how under different circumstances it would be easy enough to bury your "sinful" self far under the skin of your outer Christian and to just travel through life this way. So long as you go through all the motions, no one will care who you really are underneath. And besides, so long as you are going through all the motions, never breaking the facade, who are you really? It was an incomplete thought, but it was a scary one; it was the very first time I worried that the experience of entering this world might prove to be anything more than an unusually tiring assignment.


    Add. En revanche, la vidéo de promotion de son nouveau bouquin, the Great Derangement, n'est pas très originale.

  • dimanche 27 avril 2008

    Kṛṣṇa et Saint Christophe



    Je lisais à Marseille le Śrīmad Bhāgavatam X (le purāṇa de Kṛṣṇa) dans une version simplifiée par Haré Krishna quand les analogies des enfances de Kṛṣṇa avec les mythes chrétiens m'ont frappé.

    Dans son enfance, Kṛṣṇa, incarnation (avatāra) de Dieu (Śrī Viṣṇu) est poursuivi par le méchant Roi (Kaṃsa, son oncle maternel), qui fait assassiner tous les six frères aînés de Kṛṣṇa pour éviter que Kṛṣṇa ne cause sa mort et ne le détrône un jour (oui, cela sonne peut-être plus comme Kronos et Zeus, ou Acrisios et Persée, que comme Hérode Ier et Jésus dans l'énigmatique mythème du Massacre des Innocents de l'Evangile de Matthieu). La persécution par Kaṃsa explique comment Kṛṣṇa, prince royal, est elevé comme un bouvier (alors qu'on peut se demander pourquoi le Roi iduméen de Judée croit les Mages et craint tant un fils de charpentier de Bethléhem qui doit fuir en Egypte).

    Mais là où l'analogie devient plus intéressante est entre Saint Christophe et Tṛṇāvarta (Śrīmad Bhāgavatam, 10, 7).

    Quand le méchant roi Kaṃsa découvre que Kṛṣṇa a survécu, il envoie alors l'asura (démon) Tṛṇāvarta enlever l'enfant. Tṛṇāvarta est un géant qui prend la forme d'un cyclone. Il emporte le nourrisson divin et celui-ci prend alors la masse de toute une montagne ou de tout l'univers, ce qui emporte alors le géant au sol et le terrasse (de même que la Terre soutient le Bouddha dans sa propre Tentation de Saint Antoine quand il touche le sol contre l'Illusion).

    On remarquera que la représentation krishnaïste ci-dessous, tardive, est assez paisible, on a presque l'impression que Tṛṇāvarta porte l'enfant bleu plus qu'il ne le kidnappe (les krishnaïstes ont parfois des problèmes avec le fond assez violent des légendes de leur dieu et une imagerie bien plus pacifiste, ce qui explique peut-être la tension constante entre les scènes où il tue des monstres puis où il expie ou absout ce qu'il a occis).





    Or le Saint Christophe (Χριστόφορος, "Porteur du Christ") de la Légende dorée est presque une inversion de Tṛṇāvarta.

    Christophe de Lycie, alors nommé "Réprouvé", était un Géant de Canaan, comme Goliath, haut de 12 coudées (environ 6m - des représentations lui donnent aussi une tête de chien). Il servait le plus grand Roi mortel (= Kaṃsa), mais celui-ci dit qu'il redoutait encore le Diable (un Asura ?). Il vint servir le Diable mais celui-ci lui dit qu'il craignait encore le Christ. Un ermite lui dit qu'il trouverait le Christ en faisant traverser une rivière. Il vit venir un enfant et l'aida à traverser mais la masse de l'enfant s'accrut tant que le Géant crut ne pas y arriver, car il avait porté la masse de tout l'univers. Il acquit ainsi son nom de Christo-phore. Son bâton fleurit comme l'axe du monde et il devint un martyr en Lycie.



    On me dira qu'il n'y a aucune traversée des eaux dans l'enfance de Kṛṣṇa.

    En fait, il y a une autre scène juste avant, à la naissance de Kṛṣṇa, où Śeṣa le serpent cosmique de Viṣṇu vient protéger Kṛṣṇa et son père Vasudeva alors qu'ils traversaient les eaux tumultueuses de la rivière Yamuna (symbole de mort comme le Gange symbolise la renaissance). Qui sait si la Légende dorée antico-médiévale de Christophe ne puise pas dans son étymologie imaginaire sur des représentations mal interprétées de légendes vishnouïstes (de même que Saint Antoine viendrait en partie du thème central iconologique de la Tentation de Bouddha) ?




    Bien sûr, ces comparaisons ne vont pas très loin et pourraient être des coïncidences, des effets de mythes traditionnels sur le Héros (cf. Rank). De plus, la causalité pourrait être inverse si le Śrīmad Bhāgavatam est vraiment du IXe siècle après Jésus-Christ et non pas de l'antiquité védico-puranique comme le croient les fidèles Vaishnava. Malgré toutes les ressemblances entre la Trinité des hypostases et la Trimurti des guṇas, le demi-dieu Kṛṣṇa ressemble souvent plus à Herakles en Tueur de monstres (ce fut l'identification que firent les Grecs, de même qu'ils associèrent Śiva à Dionysos - on remarquera que ce couple improbable de Hercule et Bacchus, le costaud et l'ivrogne, se retrouve dans les Grenouilles d'Aristophane, avec une descente aux Enfers). Par d'autres aspects, comme jeune bouvier langoureux dans toute la tradition des "Divertissements divins", Kṛṣṇa ferait plus penser à Paris, le fils de Priam, qu'à un autre personnage plus viril.

    jeudi 24 avril 2008

    Comics de la semaine (23/04/08)

    Ca va être très bref, j'ai littéralement un train à prendre pour Marseille tout à l'heure.

  • Univers DC

    • Countdown to Final Crisis #1
      Ca fait plaisir que le comic vous donne raison à ce point de s'être désabonné. Cela sera resté un échec total jusqu'au bout. Cela devient même abyssal puisque un des personnages, Donna, commente qu'elle a un sentiment d'insatisfaction inexplicable. On te comprend. Presque tous les personnages reviennent au stade initial sans aucun progrès : Mary Marvel est redevenue corrompue comme dans les premiers épisodes, Jason Todd est resté un psychopathe, Piper redevient l'ex-vilain-devenu héros qu'il était avant la série. Countdown aura été l'une des séries les plus vides et il leur a fallu 52 épisodes pour revenir ainsi au point de départ (ce qui d'habitude paraît donc dans une série en 4 ans).
      A la fin, les héros Atom, Donna, Forager (devenue la petite amie de Jimmy Olsen) et Kyle viennent chez les Monitors des Terres alternatives leur annoncer qu'ils seront désormais les 4 super-monitors des 50 monitors. Dans le cas de Donna, cela se comprend (elle est la contrepartie de Harbinger après tout), mais les autres sont incompréhensibles.

    • Justice League of America #20
      Flash et Wonder Woman luttent contre Queen Bee. Le dessin d'Ethan Van Sciver me semble avoir encore progressé et sait allier le réalisme à la Jimenez et un dynamisme expressionniste à la Carmine Infantino à qui il rend de toute évidence hommage dans les scènes avec Flash.




  • Univers Marvel

    • Annihilation Conquest #6/6
      C'est plus réussi que je le pensais, en partie grâce à la mort de Groot, l'Arbre intelligent, qui est un des rares décès un peu émouvants que j'ai pu lire dans les comics cette année (trop de morts tue les morts). La victoire finale contre Ultron fait un peu téléphonée - on ne comprend pas bien pourquoi Quasar et Adam Warlock le battent si facilement après avoir eu tant de mal auparavant. Je vais peut-être même essayer le spin-off Guardians of the Galaxy parce que j'ai une relative confiance dans les scénariste Dan Abnett et Andy Lanning.

    • Mighty Avengers #12
      Un numéro décisif de flashback pour l'Invasion secrète qui raconte comment Nick Fury organise depuis déjà des mois la contre-offensive contre l'infiltration skrull. Un bon numéro de paranoia et d'espionnage, malgré les clichés bendisesques actuels sur le vieux baroudeur dur et surcompétent. Le seul problème est qu'on ne voit pas bien pourquoi cela apparaît dans Mighty Avengers et pas plutôt dans New Avengers.

    • Ms. Marvel #26
      Ms. Marvel doit lutter à la fois contre un double skrull et des agents du SHIELD qui la prennent pour son double. Elle continue de se faire voler la vedette par l'odieux et sexiste Machine-Man, que le scénariste préfère de toute évidence au personnage principal.


  • Free Comic Books Day
    Hey, oui, c'était le jour des comics gratuits.

    • X-Men
      Une histoire dessinée par Greg Land où Pixie appelle les X-Men contre une invasion de démons dans son village du Pays de Galles. Bonne ambiance de conte terrifiant (un sort empêche les villageois de se rendre compte qu'ils se font manger les uns après les autres) mais cela fait un peu double emploi avec les Skrulls.

    • Project Superheroes: Death-Defying Devil Special
      Une histoire qui doit se situer après le #4 de la série (donc dans deux mois) et qui sert à raconter les origines du principal vilain de cet univers, The Claw. Il n'est plus ici un simple Dr Fu Man Chu associé au racisme du Péril Jaune mais une sorte de divinité extraterrestre.
  • mercredi 23 avril 2008

    Parce qu'on n'a jamais assez de Schadenfreude



  • Les chiffres actuels de notre nouveau Badinguet :


    • BVA n'a que des chiffres du 27 mars : -15
    • CSA : 4 avril : -14 (40% de positif, 54 de négatif, 6% de NSP)
    • Ifop : (20 avril solde -28 (36% de satisfaits (-1), 64% de mécontents (+1), O% de NSP ??).
    • Ipsos : -17 (40%/57%) Voir comparatif avec Chirac : il est tombé au niveau de Chirac en 1996 et en 2005.
    • Opinionway : -23 (38%/61%)
    • TNS Sofres : -23 (37%/60%) Voir cette courbe

    La conclusion de cette comparaison est que je vais seulement lire l'Ifop, nettement plus négatif (-28) que CSA (-14).

    (Cela dit, plus sérieusement, ce n'était pas du tout pareil quand j'avais fait le comparatif en fin janvier où la Sofres était nettement plus négative que l'Ifop, la compagnie de Parisot. On remarque qu'OpinionWay n'est finalement pas si marqué pour l'instant par rapport à Ipsos).

    Add. Le nouveau sondage Ifop publié le 24 avril accroît encore le désastre : -44 (!!!! 28% de satisfaits -8 /72% de mécontents, +8).

  • Chez Pollkatz, on voit sur cette courbe à quel point Bush, malgré sa réelection de novembre 2004 a eu une érosion depuis son sommet du 11 septembre 2001 et n'a jamais dépassé 50% d'opinion favorable pendant son second mandat.

  • La bonne nouvelle de ce sondage Gallup sur les religions aux USA est que la scientologie est tellement impopulaire qu'elle est la seule religion citée qui soit plus impopulaire (52% de négatif) que l'athéisme (45% de négatif).

    La mauvaise nouvelle bien sûr est que l'athéisme soit à un solde si bas (-32, derrière l'Islam), et qu'on mette la scientologie dans un sondage sur les religions.

    Oh, et que les Américains aient une opinion neutre sur ces tarés de Mormons, dont la religion est à peine moins débile et science-fantaisiste que le hubbardisme.
  • mardi 22 avril 2008

    Gamma Paris



  • Il y a des soldes -10% chez Noble Knight, un des meilleurs revendeurs de jeux de rôle d'occasion.
    J'en ai profité pour acheter du Empire of Petal Throne (A Jakallan Intrigue, Mitlanyal 1 & 2) et un vieux monde, Arduin dans la version étendue de 821 pages (!) chez Emperor's Choice. Ils devraient arriver dans environ 4d12 + 10 jours (tiens, je n'utilise jamais le d12), soit entre mai et juin.
    Les frais de port minimaux sont quand même assez importants (autour de 20$) mais c'est proportionnel au poids, la masse du tout doit être assez lourde avec le livre de 821 pages. C'était déjà chez eux que j'avais acheté Glantri quand je vivais aux Etats-Unis et j'en étais très content.

  • Je suis tombé à l'Oeuf Cube sur un exemplaire soldé d'une des 6 versions de Gamma World, Alternity Gamma World Campaign Setting (2000) par Andy Collins et Jeff Grubb (si je compte bien ce fut la 5e). Alternity était un jeu de rôle de SF créé par TSR en 1998 et ils adaptèrent donc leur monde post-apocalyptique à ce système (de même qu'ils l'adaptèrent ensuite en 2002 à d20).

    Une des différences est dans l'univers. Gamma World 1 & 2 supposaient une Apocalypse dans un lointain futur (XXIVe siècle) pour expliquer comment on pouvait trouver des vaisseaux, des robots et androïdes dans les ruines. Gamma World 5 utilise une autre solution, un Armageddon dans un futur proche au XXIe siècle (peut-être pour garder un cadre plus familier), mais déclenché par une invasion extra-terrestre (ce qui permet de garder des ruines de haute technologie si elles viennent de ces envahisseurs).

    En seulement 190 pages, le livret a des règles complètes (adaptation d'Alternity) et une brève description de "Gamma Terra" centrée autour des ruines de "Settle" (Seattle, WA., l'Etat où se trouve la compagnie Wizards of the Coast) et même une suite de scénarios de 30 pages dans ce cadre détaillé. Le seul défaut que je vois à cette édition pour l'instant est le logo assez moche qui fut réutilisé dans la 6e édition (qui se prend trop au sérieux et perd l'esprit assez délirant du jeu).

    Alternity a 6 caractéristiques (Force, dextérité, constitution, intelligence, volonté, personnalité), 4 classes de personnages (Combat Spec, Diplomat, Free Agent et Tech Op) et des compétences (les points de vie sont calculés à partir de la constitution). Le système est universel et utilise un d20 : il faut faire moins qu'un score et on a un bonus/malus qui est exprimé comme un second dé (de type divers, par exemple -1d4) à ajouter (malus) ou retirer (bonus) au résultat du dé (le mécanisme est donc l'inverse de celui du système actuel de D&D où il faut faire le plus haut avec un d20 + un additif).

    Le jeu propose soit des Humains Purs, soit des Mutants, soit des Androïdes (pas de Robots). Au lieu d'avoir la catégorie large des "Animaux mutants", qui restait complètement ouverte dans les premières éditions, le jeu propose 3 espèces d'animaux intelligents humanoïdes de la région : les Dabbers (Raccoons d'1 mètre avec télékinésie et autres mutations psi), les Sasquatchs (Grandes brutes de 2,20m primitives et griffues) et les Sleeths (sages sauriens civilisés). Il n'y a donc pas de Plantes intelligentes (qui datent de Gamma World 3).


    Ce monde d'animaux mutants doit être inspiré notamment par le succès de La Planète des singes (le film de 1968) ou l'univers de Kamandi, the Last Boy on Earth, la bd post-désastre de Jack Kirby en 1972-1978 (voir la carte du monde de Kamandi - Bonparr l'Ours bonapartiste de Gamma Terra est sans doute un hommage aux Loups bonapartistes de Kamandi ; le dessin animé Thundarr au thème similaire n'apparut qu'en 1980).

    Gamma World a accumulé plusieurs noms pour les diverses espèces mutantes dites Furries (les zoomorphes ou plutôt animaux anthropomorphes). Il y a par exemple les Arks (grands canidés de 3m), les Badders (blaireaux intelligents maléfiques, comme les Tanuki), Brutorz (grands chevaux intelligents), Carrins (vautours), Gators, Hawkoids, Hissers (Hommes-serpents), les Hoops (ou Flopsies, de féroces lapins hauts de 2,50m, intelligents comme les Bunrabs de Swordbearer ou les Tabbits de Sword World, voir aussi cette illustration de Hoops), Lils (humains minuscules de 20cm, puissants télépathes), Menarls (cobras géants dotés de 10 bras - les premières éditions disaient entre 5 et 16 bras) et Orlens (humains bicéphales).

    (Voir aussi ce thread sur les illustrations de Gamma World)

  • Je continue de songer à une adaptation possible de Tribe 8 à Paris. J'aimais bien la structure des Sept déesses du jeu québecois (Eve la Fertile, Madeleine l'Amoureuse, Baba Yaga la Vieille, Sheba la Juge, Jeanne la Guerrière, Dahlia la Trompeuse, Agnès l'Enfant) mais le problème est que dans le contexte français, un monde articulé autour de Marie, Sainte Geneviève (qui est après tout la divinité poliade depuis Attila et qui est encore sur le Pont de la Tournelle construit en 1924) ou Jehanne d'Arc risque de sonner idéologiquement d'extrême-droite.

    Un des gags auquel j'avais pensé était de jouer sur le nom de Paris confondu avec le fils de Priam du célèbre "choix de Paris" : il n'y aurait alors que trois déesses, du genre Héra, Athéna et Aphrodite. Une autre idée est de donner de l'importance à des thèmes pseudo-égyptiens (Métro Pyramide avec influence d'un Belphégor du Louvre ?).

    Le risque en multipliant trop de clins d'oeil à diverses époques (un Acéphale à Saint Denis, un Démon à Denfert...) est d'arriver à une macédoine hétéroclite (un "effet Xanadu" où l'agrégat devient kitsch à force de vouloir tout mélanger).

    Je suis aussi encore hésitant entre un post-apocalyptique pseudo-réaliste (avec par exemple un Virus de Nanomachines pour expliquer des mutations) et un post-apocalyptique complètement magique (démons, complot templier/nephilim, mutations alchimiques issues de Nicolas Flamel !, etc.), qui permet de ne plus chercher d'explication cohérente : everything goes.

    Si je prends la variante magique, j'aimerais en faire en quelque sorte un reflet inversé de Vermine. Vermine est un très bon jeu post-apocalyptique mais c'est un jeu d'horreur sombre où l'humanité doit vivre en symbiose avec des insectes géants et divers rats et charognards (le désastre est un peu inspiré d'une Gaia autorégulant son écosystème en éliminant les humains). Je verrais plutôt une sorte de jeu optimiste peu réaliste (à la Animonde) avec des Druides hippies ou New Age qui peuvent faire refleurir les plantes dans un terrain vitrifié ou des jungles mutantes grâce au retour de l'Espoir (qui pourrait être au jeu ce que la Santé mentale est à Cthulhu). En même temps, il faudra bien quelque chose sur des Rats si on joue dans les égoûts et catacombes de Paris.

    La plupart des jeux post-apocalyptiques sont sinistres (voir par exemple le jeu allemand Degenesis qui fait plus mediévalpunk) et il est difficile de dépasser l'effet psychologique du massacre qui a précédé l'univers du jeu - à moins de dire que la majorité de la population mondiale a fui sur des Arches spatiales. Morrow Project était trop militariste mais il avait plus nettement encore que Gamma World le thème de la reconstruction, pas seulement de la survie, des Cultes du Cargo ou du pillage.
  • lundi 21 avril 2008

    Agni pour le jeu Bhāratavarṣa



    [Oui, ça faisait longtemps que je n'avais plus parlé de Bhāratavarṣa.]

    Agni ("Feu", अग्नि en sanskrit) est l'un des dieux principaux de la religion des Brahmanes, le plus cité dans tous les rituels des Védas.

    Agni représente à la fois le feu du foyer, l'énergie, l'éclat brillant, la colère, le "feu intérieur", la foudre, le soleil, le cycle des Destructions et des Renaissances, mais aussi et surtout la flamme du Sacrifice et toute offrande aux Dieux (voir la section sur le Yajña).



  • Noms
    On l'appelle aussi Abhiman (Fierté), Anala (Vivant), Abjahasta (Porteur du lotus), Bhûritejas (Resplendissant), Châgaratha (Chevauchant un bélier), Citrabhanu (Multicolore), Dhûmaketu (Porte-fumée), Havyavâhana (Véhicule des oblations), Hutâśha (Dévoreur d'Offrandes), Jâtavedas (Possesseur), Jvalana (Brulant), Mâtârisvan (Qui croît dans sa Mère, dans le bois), Pâvaka (Purificateur), Pingesha (Jaune), Rohitâśhva (aux Chevaux rouges), Śhuchi (Pur), Saptajihva (Sept Langues), Śhâmîgarbha (Embryon de l'Acacia), Vahni (Messager - parce qu'il porte les sacrifices aux Dieux), Vishvânara (Fils du Soleil).

  • Capacités
    Allumer Feu, Sacrifice, Vigueur, Absorber (Agni est aussi un dieu de la "digestion").

  • Vertus
    Dharma (pour le Rite sacrificiel), Moksha, la Libération, voire Kâma pour la vigueur.

  • Affinités
    Feu (Lumière, Chaleur, Fusion, Fumée, Incendie, Destruction)
    Messager (Rituel du Yajña, Contacter les Devas)

  • Secret
    Destruction comme Purification : détruit un être pour le faire renaître sous une forme plus glorieuse.



  • Rites et représentations
    Agni est représenté comme un dieu de couleur rouge, vêtu de noir comme la Fumée, souvent à 2 ou 3 têtes, sept langues de feu (une de ses langues seraient des formes de Durgâ ou de Kâli). Ses quatre bras portent une hache, une torche, un éventail (qui sert de soufflet), une louche ou cuiller et parfois un Lance de Feu.

    Agni est au centre de plusieurs rituels essentiels comme l'agniyâdheya (Instauration d'un Feu sacré pour allumer les Feux sacrificiels), l'agnihotra (Offrande quotidienne au Feu des brâhmanes), agnistoma (fête du printemps où on sacrifie un bélier), l'agnichayana (empilement de bois pour le feu), l'antyesti (bûcher funèbre).



  • Aspects et avatars
    Agni est parfois identifié à son père le Soleil (Vivasvat ou Sūrya), voire à Rudra / Śiva.

    Il a de nombreux aspects qui correspondent aux divers types de Feux (voir ses enfants, Feu terrestre, atmosphérique et céleste).

    Ses deux têtes représente le fait qu'il est un des dieux les plus ambigus, le plus positif comme Messager des sacrifices et le plus dangereux comme Destructeur.

    Le Sage Aurva (un muni, ascète descendant de Bhrigu et ancêtre de Paraśurāma) aurait été un de ses avatars humains.

  • Véhicule
    Agni monte d'habitude un Bélier (d'où son surnom de Châgaratha), ou bien un chariot tiré par des boucs, des perroquets ou bien sept chevaux rouges (d'où son surnom de Rohitâśhva).

  • Adorateurs
    Agni est adoré par toutes les classes sociales, mais il y a des groupes qui lui sont encore plus dévoués chez les Brahmanes sacrificateurs (notamment l'adhvaryu, qui fait le feu du sacrifice et l'agnîdh officiant qui entretient le feu).

    Agni est aussi adoré par les ennemis des Dieux sous son aspect de Destructeur.



  • Relations
    L'épouse d'Agni s'appelle Agnâyî ou Svāhā (personnification de l'Offrande offerte au Feu). Elle serait une nymphe, fille de l'asura Daksha. Mais d'autres disent qu'elle est un aspect de la compagne de Rudra et qu'elle est la mère de Karttikeya.

    Il a eu plusieurs enfants qui seraient les différentes sortes de Feux, Feu terrestre et Feu domestique, Feu du bûcher (Kravyada-agni), Incendie (Dava-agni), Feu atmosphérique (la foudre Vajra d'Indra), Feu céleste du Soleil, Feu cosmique qui annihile périodiquement les mondes (feu qui pour l'instant couve encore au fond du volcan Vâdavamukha au bout du monde, sous les eaux de la Mer du sud).

    Vâyu, Dieu du Vent, est le meilleur ami d'Agni et son souffle alimente les feux.
  • Comics de la quinzaine (9/04-16/04)



  • Univers DC Comics

    • Booster Gold #8
      Booster Gold et son ami Blue Beetle sont toujours dans l'uchronie où Maxwell Lord l'a emporté suite aux événements de l'invasion OMAC pendant Infinite Crisis. Ils essayent vainement de lutter contre la tyrannie des OMACs pour nous préparer à accepter que Blue Beetle doit mourir à sa date comme prévu. Je continue à ne pas apprécier ce genre de théorie fataliste.

    • Brave and the Bold #12

      Le conclusion de tout le premier "Arc" du Livre de la Destinée, avec le combat final contre l'Alchimiste suprême Megistos, qui a réuni divers artefacts comme la Pierre philosophale, l'Orbe de Ra, Metamorpho, Firestorm et la Batterie de Green Lantern (qui n'est pourtant pas magique).

      Un peu prévisible mais bien fait, avec notamment une rare occasion pour Superman de gagner par une ruse et non pas par sa force.

      Ultraman, le Superman Inversé, est aussi transformé par le Nuage de Kryptonite Rouge et disparaît, ce qui promet un retour surprenant.

    • Green Lantern Corps #23
      Cette histoire qui va opposer le Corps contre Mongul II portant des fleurs Black Mercy et des douzaines d'anneau de Sinestro à la fois serait pas mal si on n'avait pas autant l'impression d'un remake immédiat des histoires récentes. C'est un peu comme si les comics se sentaient obligés non plus seulement de reprendre des clichés anciens mais même de recycler en permanence le moindre succès.

    • Justice Society of America #14
      Toute l'énorme Société de Justice compte maintenant environ 24 membres, ce qui la met au niveau des équipes les plus surpeuplées comme la Légion des Superhéros (une des conventions tacites des comics est que les dessinateurs n'aiment pas des équipes qui dépassent 7 membres). La relance du titre a fait proliférer les nouveaux héros avec l'arrivée de nouveaux Héritiers (Legacies) comme Cyclone (petite-fille de Red Tornado I), Citizen Steel, Amazing-Man III, Wildcat III, Mr America II, Lance Corporal ou JudoMaster II (et je dois avouer que je n'aime aucun de ces personnages à part peut-être Cyclone). L'équipe est fortement déséquilibrée entre des membres sans pouvoir comme Mr America ou Judomaster et les êtres quasi-omnipotents comme Superman-du-futur et Green Lantern I, mais c'est un problème de toutes les équipes. Geoff Johns doit maintenant réussir à construire des opposants suffisants contre une telle force de frappe et son choix de Gog tout seul paraît curieux. Power Girl, Superman et Green Lantern devraient réussir à s'occuper du fanatique, mais ici il réussit à battre la vingtaine de héros.


  • Indépendants

    • Noble Causes #32
      La série, centrée sur une famille de superhéros, fait un bond de 5 ans dans le futur pour refaire un point de départ neuf. On ne sait pas encore ce qui est arrivé à Liz Donnelly (l'humaine normale qui était la narratrice principale avant) ni à son mari Race (on avait vu un futur peut-être alternatif où elle était avec Frost). Doc Noble a divorcé de Gaia et a épousé une autre superhéroïne Olympia (qui ressemble à une version fémine de Thor), adoptant ses deux enfants Surge et Minutiae (on ignore qui est leur père), ainsi que Frost, le fils de Gaia et du double dimensionnel de Doc. La fille de Noble, jeune Zephyr s'est assagi et a finalement épousé Slate Blackthorne (le fils du supervilain) et le fils aîné Rusty (si c'est vraiment lui) semble avoir accepté enfin son corps cyborg au point de se comporter comme un robot. L'épisode est très bien construit dans sa narration et même si on peut s'interroger sur l'utilité de ce redémarrage, c'est très bien fait, avec une "nouvelle version" de Liz, la brune Amy Wells, qui semble plus intéressante.

    • Project Superpowers #2
      L'Urne de Pandore a été brisée et les héros oubliés reviennent. Le Death-Defying Devil (oui, le Daredevil originel mais Marvel ferait un procès) est de retour à Paris (dans les catacombes infernales de "Denfert") et lutte contre des terroristes. The Flame est de retour à Los Angeles. Samson et Scarab sont au Moyen-Orient. Fighting Yank, Green Lama, the American Spirit et Black Terror ont échappé à la Famille de Dynamic Man et se sont réfugiés à Shangri-La. Le comic va vite être surpeuplé, si on en croit les annonces du retour de Amazing Man, Arrow, Blue Bolt, Captain Battle, Captain Future, Cat-Man, Green Mask, Hydro, Liberator, Major Victory, Owl-Man, Pyroman, Silver Streak, Strongman, Sub-Zero Man, Target, US Jones, Vulcan et Woman in Red. Je vois déjà un problème avec l'omnipotence de Green Lama (comme celle d'Uncle Sam dans Freedom Fighters). Très vite, les scénaristes vont être contraints de mettre des limites arbitraires à ses capacités. L'autre problème est que pour l'instant, cela continue à ressembler à un remake de Terra Obscura chez ABC.

    • Rex Mundi (vol.2) #11
      Le docteur Julien Saunière, réfugié en Navarre, dans un ancien fief mauresque de la Maison de Lorraine, découvre un secret magique, les Pommes Bleues qui servent à faire une liqueur spéciale que boit le Duc David de Lorraine. Saunière sauve la vie de l'Inquisiteur à ses trousses et retrouve Isabelle, la fille déshéritée du Duc mérovingien. Pendant ce temps, les troupes françaises sont en train de conquérir l'Allemagne et le Premier Consul-Fürher prépare son couronnement comme Empereur, avec la magicienne Geneviève à ses côtés. Les Français de ce Troisième Empire préparent aussi un plan de Génocide des juifs et musulmans d'Europe et la bd risque de glisser vers une période encore plus sinistre du monde parallèle où la croix de Lorraine a remplacé la svastika.

    • Suburban Glamour #4/4
      La conclusion de la série où la jeune Astrid découvre qu'elle est une princesse de Faerie, fille d'Oberon et Titania. C'est très décevant. Elle se contente de dire qu'elle a finalement envie de rester sur Terre et qu'elle a appris à apprécier ses parents adoptifs plutôt que les contraintes de la Cour féérique.

    • The Sword #7
      Dara devient "pro-active" (oui, je sais à quel point cet adjectif est ridicule) et après six épisodes à fuir ses assassins commence la vengeance contre les enfants d'Ida, notamment Zakros, qui brule d'un désir incestueux pour sa soeur Mallia. Un des aspects intéressants de l'histoire est l'interrogation morale : Dara pourrait se servir de l'Epée seulement pour soigner (elle refuse de rendre la vue à une aveugle, de crainte d'attirer l'attention) mais elle dit qu'elle n'a pas le choix et doit suivre la Vendetta. With Great Power comes only Irresponsibility.


  • Univers Marvel

    • Fantastic Four #556
      Le soap n'est pas sans intérêt. Johnny Storm, toujours aussi superficiel, produit un Reality Show sur lui, au moment même où il commence une relation avec une cambrioleuse. Le reste en revanche, une histoire de robot tueur sur un monde parallèle fabriqué par l'ex de Reed, m'a fait dormir trop vite pour que j'en parle.

    • Nova #12
      Nova est enfin guéri du Virus techno-organique grâce à Warlock de la Technarchie et la contre-attaque contre les Phalanges va enfin commencer, la conclusion étant dans Annihilation Conquest #6. J'ai hâte de voir la Guerre se terminer pour que les scénaristes soient un peu plus libre avec le personnage, devenu le plus "cosmique" actuellement.
  • dimanche 20 avril 2008

    Kōan modal





    "What a bit of luck, this woman turning out to be your aunt!"

    - I don't know what you mean, turning out to be my aunt. She has been my aunt all along."

    P.G. Wodehouse, Right Ho, Jeeves (1934), p. 44


    Interesting joke. What he means is that the epistemic intension ("turning out") of the description ("this woman") should not be confused with the rigidified description of the metaphysical identity (see for instance, Chalmers'Two-Dimensional Semantics).
    See also the dialog about ceteris paribus clauses in counterfactuals in the same novel p.20.

    Nozick tells a joke : "What is the difference between a Zen Master and an analytic philosopher? A Zen Master tells riddles, an analytic philosopher riddles tales"

    Galimafrée



    • Cette phrase de Darcos dans un chat a été peu relevée :

      pyrame : Un professeur de français certifié qui a en charge quatre classes au collège, par exemple, peut-il sérieusement "travailler plus pour gagner plus" alors qu'il n'a déjà pas les moyens matériels et moraux d'enseigner sa discipline dans des conditions dignes et pour lui et pour ses élèves ?

      Xavier Darcos : Cessons de dire que dix-huit heures de cours par semaine représentent un exploit sans égal. Je ne conteste pas que les conditions de travail peuvent être parfois difficiles, mais, pour les volontaires, d'autres engagements supplémentaires sont peut-être supportables.


      Certes, ces 18h en collège ne sont pas un "exploit sans égal". Mais de là à dire que cela justifie de contraindre les enseignants à passer, disons, à 22 heures qu'ils le veuillent ou non, c'est quand même choquant. Il voudrait pousser les enseignants à se radicaliser qu'il n'agirait pas autrement.

    • Après Gygax, décès de Bob Bledsaw, fondateur de Judges Guild, seconde compagnie de jeu de rôle (1975) et créateur de leur univers la Cité-Etat du Suzerain Invincible, le premier supplément approuvé pour D&D et la première ville de jeu de rôle (peu de temps avant la cité de Jakalla qui paraît dans la première édition d'Empire of Petal Throne).

      Les premiers joueurs de jeu de rôle avaient de l'imagination mais ils avaient un vrai problème avec les noms propres. Dans ces archives de Judges Guild, ils expliquent en 1975 qu'ils n'ont pas donné de nom au "Suzerain Invincible" (ce qui n'est pas un petit détail quand il donne son titre à tout le site du jeu) parce qu'ils voulaient laisser cette possibilité de choisir aux joueurs. Riiiight... La vieille explication : "On ne s'est pas donné la peine de le faire, pour ne pas brider votre imagination." Le même prétexte fut souvent repris par Gygax pour défendre tous ses PNJ anonymes dans ses modules. Des PNJ nommés nous semblent aller de soi aujourd'hui mais il n'en allait pas toujours ainsi. Les témoignages montrent aussi que les premiers PJ portaient simplement le nom du joueur.

    • C'est un mème très populaire sur Internet (5 millions de Hits), le Pachelbel Rant de l'humoriste Rob Paravonian.




      Les nombreuses références rock/baroques sont commentées sur Wikipedia à l'article Paravonian.

      Rob Paravonian - qui fait d'ailleurs des premières parties de George Carlin, dont je parlais l'autre jour - a aussi un journal vidéo (pardon Vlog) Life As A Comic, où il raconte sa vie glamorous de comique, les tournées de cafés minables en spectacles pour petites universités, le temps passé à auditionner pour divers petits endroits.
      Je n'ai jamais eu autant de compassion pour une profession artistique et en même temps aussi peu envie d'imiter une telle carrière. Je me fais insulter de temps en temps par quelques élèves mais vous imaginez vous faire insulter chaque semaine par des types ivres ou des bavards qui ne veulent pas écouter votre spectacle parce qu'ils sont venus seulement boire dans ce bar ?

    samedi 19 avril 2008

    D&D© vs OGL



    Nous vivons dans une époque à la fois d'appropriation des idées et brevets et en réaction à de nombreux mouvements de Open Source - notamment depuis le logiciel libre, le GNU project, Linux, le Copyleft et Mozilla (1998).

    En 1999-2000, au moment de sortir la 3e édition de Dungeons and Dragons, Wizards of the Coast développa un nouveau système. Au lieu de négocier des licenses et de faire des procès, WotC introduisit le système dit de Open Gaming License (OGL).

    [Avertissement : ce qui suit contient du Droit. Ce qui signifie que je vais forcément dire des âneries et des contre-vérités comme c'est un mode de discours très précis où les amateurs disent toujours des approximations et des stupidités.]

    On peut distinguer trois niveaux de la license :


    • WotC publie les règles de D&D© et des univers qui restent leurs propriétés intellectuelles (d20 "System Products"). Ils sont les seuls à pouvoir utiliser le Logo de D&D (sauf dans des cas de sous-traitants comme pour le monde de Ravenloft, développé par un studio de White Wolf mais avec un monde appartenant toujours à WotC).

    • En plus, WotC a autorisé une d20 System Trademark License (STL) qui permet aux compagnies tiers ("third party publishers", 3PP) de publier des extensions, aventures et mondes compatibles avec D&D. Le STL interdit de donner des règles de création de personnage, pour contraindre à renvoyer aux règles de base (en revanche, ils ont le droit de renvoyer au résumé complet des règles appelé d20 System Reference Document), qui est gratuit. Le produit peut porter le Logo d20(pas D&D). La d20 STL dure jusqu'en juin 2008.

    • Il y avait un troisième niveau, l'Open Gaming License (OGL), le plus large. Il permet de développer ses propres modifications des règles du SRD et donc de créer de nouveaux jeux à partir du SRD. Il n'autorise pas le logo d20. Certains jeux de rôles récents comme le jeu de superhéros Mutants & Masterminds de Green Ronin sont en fait des jeux OGL qui se sont peu à peu écartés de leur origine et sont devenus des jeux à part entière, indépendants de D&D 3e édition.



    WotC fut déçu de la license OGL et de la d20 STL. Le gros avantage était que plus de compagnies développaient des extensions pour leur système, ce qui accroissait leur importance sur le marché - le début des années 2000 fut une sorte de déluge du d20. Mais les désavantages étaient nombreux. Le marché était saturé de produits d20 de qualité inégale, ce qui finissait par nuire au leader. Le succès des variantes OGL se retournait contre le vrai D&D puisque certaines devenaient de vrais concurrents (un des cas est le système dit True20, qui abandonne des aspects importants de D&D et du SRD comme les points de vie et les points d'expérience et qui a ensuite engendré son propre OGL distinct).

    Pour la 4e édition de D&D qui va paraître en juin 2008, WotC va donc modifier les règles (et qui ne sera pas autant rétro-compatible avec D&D3 qu'AD&D2 l'était avec AD&D1) avec une nouvelle license appelée D&D 4th Edition Game
    System License (GSL).

    La STL va disaparaître en juin 2008, l'ancienne OGL n'est pas révocable, mais la nouvelle GSL est distincte et n'est plus "ouverte".

    La license GSL reste gratuite (et non pas à 5000$ comme l'avait dit la première rumeur). En revanche, elle interdit tout produit avant le 1er octobre 2008. WotC ne veut pas refaire l'erreur où des concurrents avaient été présents dès la publication de leurs livres de base.

    Mais surtout, il semblerait que la license GSL soit exclusive (voir la discussion sur Eric Noah's World, le blog de Pramas, directeur de Green Ronin, et sur RPG.net). Toute compagnie qui veut avoir accès à la license s'engage ipso facto à abandonner l'OGL.

    On comprend le raisonnement de WotC. Ils ne veulent pas que les Tiers puissent à la fois vendre des extensions "compatibles" avec leur système 4e édition et continuer à développer les concurrents OGL issus de la 3e édition.

    La GSL (qui donne bien plus de contrôle) serait alors un Cheval de Troie pour assurer le crépuscule de l'OGL.

    Paizo avait déjà annoncé (comme je le disais) qu'ils ne passeraient pas à la GSL 4e édition et créeront leur propre jeu OGL, Pathfinder RPG.

    Certaines compagnies (comme Necromancer Games) ont aussi insinué qu'elles pourraient contourner l'exclusivité et créer des sociétés écrans, distinguant un aspect pour l'OGL et un autre pour être conforme à la GSL. C'est notamment un problème pour Green Ronin qui voulait à la fois continuer leur jeu M&M (OGL) et adapter leur monde Freeport pour la GSL 4e édition.

    Les jeux de rôle, contrairement à des jeux plus technologiques, sont des activités libres et complexes où le progrès n'est pas toujours clair. En cela, ils tiennent plus d'arts que de techniques. Ce sont des oeuvres où de nouvelles éditions peuvent demeurer en compétition avec les éditions antérieures (par exemple, il y a certains éléments de Runequest 2 que je préfère à Runequest III et certains éléments de Runequest que je préfère à Heroquest ; je préfère Traveller 1 à Traveller 4).

    D&D 3.5 ne craignait rien des "Grognards" peu nombreux qui voulaient demeurer à OD&D, Basic D&D, AD&D1, AD&D2 ou D&D 3.0. Mais D&D 4 semble se rendre compte qu'il y a un danger représenté par le Spectre de sa propre License Ouverte.

    D&D, jeu qui repose sur la métaphore d'éradiquer des "monstres" refoulés dans des "oubliettes souterraines", doit chercher à faire table rase des ruines de son propre passé.

    mercredi 16 avril 2008

    Chutzpah



    Entendre le Président Sarkozy appeler ses collaborateurs à de la LOYAUTE est un peu comme si Amy Winehouse (ou Jean-Louis Borloo) appelait à la sobriété.

    Hey, You Forget About the Forgotten Realms



    Ma fascination pour les multiples mondes de D&D ne vient pas vraiment de leur qualité (excepté Tékumel, ces premiers mondes sont tous nettement inférieurs à Glorantha) mais seulement d'un principe de génération mythopoétique qu'on retrouve aussi dans les comics : toute création collective, quelle que soit la qualité des contributions individuelles, finit par devenir une complexité intéressante, par simple addition quantitative et par le principe de cohérence interne. En l'occurrence, je suis toujours étonné que de petits accidents d'un simple libre jeu il y a 30 ans finissent par produire ce qu'on appelle un "Canon", un ensemble de plus en plus riche de ce qui constitue un univers fictif. Tlön, Uqbar est créé par l'effet de masse et non pas par un génie individuel. Le mythopoétique est (presque) de "la poésie sans poète" et la vraie mort de l'Auteur (même si des singularités existent ou surnagent dans cette créativité collective et collaborative).

    Greyhawk et Blackmoor furent les premiers mondes, Mystara est mon préféré, mais le plus connu de tous les mondes de D&D n'est aucun de ceux-là, c'est les Royaumes Oubliés (le monde s'appelle "Toril", le continent équivalent de l'Europe, Faërûn(e)). Le monde est surtout issu d'articles d'Ed Greenwood (l'un des plus médiocres auteurs de TSR) et des ajouts de Jeff Grubb (bien meilleur). En 1985, Gary Gygax est renvoyé de TSR et en 1987 paraît la première boite décrivant les Royaumes Oubliés. Toril va peu à peu remplacer Greyhawk comme le monde officiel standard, notamment dans les extensions multimédias électroniques. Il y eut d'abord des jeux vidéo comme Pool of Radiance (1988), Eye of the Beholder (1990) et surtout des jeux en ligne comme Neverwinter Nights (1991 sur AOL, nouvelle version MMORPG sur le Web en 2002) puis Baldur's Gate (1998, nombreuses extensions), qui se situent tous sur ce monde de Faerun. Et à partir de 1988, une série de romans plutôt mauvais avec comme héros Drizzt Do'Urden l'Elfe-noir-mais-bon va avoir un succès, assez inexplicable.

    A force d'être détaillés dans des centaines de suppléments et de romans, les Royaumes Oubliés ont une indéniable richesse. C'est très inégal mais il y a quelques joyaux (une des règles est d'éviter ce qui est écrit par l'auteur principal Greenwood).

    Par exemple, la mythologie fait un peu carton-pâte et plus comics que mythique mais elle est devenue d'une rare densité comme les panthéons ont reçu des mètres de rayonnages pour les étoffer.

    En 1989, quand D&D passe à la 2e édition et change ses règles de magie, TSR organise toute une campagne, la Guerre des Avatars, pour expliquer comment les lois des Royaumes ont changé. Comme il n'y a plus de classe d'assassin, le Dieu des assassins se fait tuer et la déesse de la Magie est remplacée.

    Le présent de Faerûn évolue donc au gré des événements réels et des décisions de la compagnie. Le calendrier de Faerûn porte des noms pour chaque année. La boite de 1987 s'arrêtait "en l'An 1357 du calendrier des Vaux (Année du Prince)". La Guerre des Avatars se passe en l'An 1358 ("Année des Ombres ou des Troubles").

    En 2000, D&D passe à sa 3e édition. Le monde est encore vieilli d'une douzaine d'années pour expliquer divers événements. Un des changements majeurs est le retour de l'ancien Empire de Netheril en l'An 1372 (Année de la Magie Sauvage). Netheril était un Empire de puissants sorciers, censés être bien plus puissants que les mages normaux de D&D mais qui s'étaient détruits eux-mêmes en l'An -339. J'imagine que les concepteurs trouvaient plus cool de remettre l'Empire déchu au présent plutôt que de ne s'en servir que comme un background lointain pour voyages dans le temps. Mais les Netherais sont revenus sous forme d'Ombres, s'étant métamorphosés en ténèbres pour survivre à leur exil de 1700 ans.

    Pour 2008, D&D passe à sa 4e édition et la magie devient plus puissante (en gros, on en finit avec la journée de travail de 15 minutes : on ne lance plus X sorts par jour mais X sorts par combat, ce qui est une rupture totale). Les races de base sont aussi modifiées et on ajoute les Tieflings (Demi-Démons) et les Dragonborns (Hommes-Dragons - qui s'ajoutent donc aux Saurials, aux Sarrukhs, aux nombreux Hommes-Lézards et aux Draconiens de Krynn).

    Il fallait donc aussi changer les Royaumes Oubliés et les auteurs adaptent la solution de la Guerre des Avatars. La Déesse de la Magie Mystra-Minuit, renée en 1358, est détruite à nouveau en l'An 1385 (Année du Feu Bleu). La magie devenue folle engendre le Fléau Ensorcelé (the Spellplague) qui dévaste tout Faerun. La 4e édition se situera cette fois un siècle après, en l'An 1479 (il sera donc impossible d'importer les personnages des anciennes campagnes, sauf s'ils dorment ou sont des races à haute longévité comme des Elfes).

    Cet article de Dragon-OnLine décrit quelques changements survenus pendant ce siècle. Le pays des maléfiques Sorciers rouges de Thay est encore plus isolé sur un haut-plateau inaccessible (les designers expliquent dans leur prodcast qu'ils voulaient rendre Thay plus mystérieuse à nouveau). La région de la Baie de Vilhon, peu connue à part pour ses Hommes-Serpents de Hlondeth, porte encore des effets du Fléau Ensorcelé avec des mutations qui font qu'on les appellent "les Terres Changeantes" (ce qui donne un petit côté Gamma World pas désagréable et peut justifier n'importe quel monstre). A l'ouest, sur la Côte des Epées, Baldur's Gate s'est développée en accueillant des réfugiés de tout Faerûn, elle est devenue la plus grande métropole, devant même sa rivale Eauprofonde au nord (alors qu'au XIVe siècle, Waterdeep a environ cent trente mille habitants pour quarante mille à Baldur). L'Empire magique des Ombres de Netheril s'est étendu et a absorbé la Sembie, le seul rempart étant maintenant le grand Royaume de Cormyr. Le pays d'Unther (qui était en gros imité de la Mésopotamie, dirigé par un équivalent de Gilgamesh) change le plus et est conquis par la nouvelle race des Dragonborns qui en font leur Etat, Tymanther, ce qui est plutôt le bienvenu comme cette région de Faérûne ressemblait trop à un copier-collé de la Méditerranée orientale (Mulhorand est assez exactement une Egypte impérialiste, Chessenta ressemblerait à des cités-Etats grecques, si ce n'est qu'un Dragon rouge Tchazzar fut leur Alexandre le Grand).

    mardi 15 avril 2008

    Sperber on the Causes of Religion



    The anthropologist Dan Sperber delivered last week a one-hour lecture on the cognitive study of religion (in Vanderbilt University, Tennessee). Religious belief is analyzed as a side-effect of other dispositions.

    (You can skip a 5' introduction; the methodological considerations on anthropological concepts are quite long too but the sequel is more focused on belief, in spite of its useless silent 21' preamble)



    (The recording can be annoying sometimes. Scott Atran might be clearer on this topic, I really prefered his book In Gods We Trust to Pascal Boyer's Religion Explained, but there is no video by him, except this conference on the New Enlightenment).

    Conventions de jeu



    Le week-end du samedi 26 - dimanche 27 avril sera occupé en jeux. Il y a la GenCon - Paris, mais surtout LudiCité qui réunit plusieurs associations comme le Souffre-jour (fans d'Agone de Mathieu Gaborit).

    Dommage, c'est juste à côté de chez moi, mais ce week-end-là, je serai à Marseille chez ma mère et mon beau-père, tant pis...

    Add. La BBC a un article sur l'enseignement des Statistiques qui fait remarquer en passant que les jeux de rôle ont fait plus que toute réforme de l'éducation pour faire assimiler ces notions (avec l'interview d'un député tory qui se dit ancien fan).

    La Cour d'Ardor



  • De D&D à Tolkien

    Même si Gary Gygax semble sincère quand il dit que Lord of the Rings l'a peu inspiré par rapport aux auteurs américains comme Robert Howard, Stanley Weinbaum, Fritz Leiber, Poul Anderson ou Jack Vance, J.R.R. Tolkien était déjà la référence principale dans la fantasy des années 70, même avant que les hordes de mauvais clones, comme Terry Brooks, n'envahissent le marché. Bob Bledsaw, le fondateur de Judges Guild (première compagnie à produire des suppléments pour D&D en 1976), a déclaré par exemple que leur "Cité du Suzerain Invincible" était en fait à l'origine Gondor, et leur campagne D&D était en fait sur les Terres du Milieu avant de développer son propre univers.

    Puis arrive Pete Fenlon. Né en 1955, il commence à jouer à D&D dès la première édition en 1974 à l'Université de Virginie. Il réalise alors des cartes et plans qu'il propose de vendre à TSR mais juge que le salaire est trop bas.

    Fenlon va lancer sa campagne de D&D sur les Terres du Milieu de Tolkien et développer peu à peu sa propre version optionnelle de D&D, qui va s'appeler Rolemaster. En 1980, il fonde avec une poignée d'amis non-salariés, dont Terry Amthor, une petite compagnie Iron Crown Enterprise (I.C.E.) alors qu'il fait encore ses études de droit.

    La première publication est Arms Law, un nouveau système optionnel de combat pour remplacer celui de D&D. Au lieu de lancer un d20 en comparant Niveau et Classe d'armure puis de lancer des dés pour les dégats, on lance un seul d100 sur une table qui correspond au type d'arme et au type d'armure, ce qui donne les dégats et les résultats "critiques" détaillés. RoleMaster n'est pas encore un jeu de rôle, seulement une sorte d'additif pour "customiser" ou pour se greffer sur D&D.

    Puis vient un premier module de campagne, Iron Wind. Le livret de 68 pages décrit un nouveau monde, celui des LoreMasters, composé d'un archipel d'îles (pour être plus modulable) et qui ont une influence claire de la campagne de Fenlon dans les Terres du Milieu. Le module a seulement une île glacée Mur Fostisyr, peuplée d'Umli (Demi-Nains du froid - que Fenlon injectera ensuite dans les Terres du Milieu), de Ky'taari elfiques et du Vent de Fer maléfique de l'Anti-Vie. Ce monde des Loremasters va avoir quelques suppléments en 1984 (Cloudlords of Tanara, The World of Vog Mur) et va ensuite devenir le Shadow World (ou "Kulthea", 1989), développé surtout par Terry Amthor.

    RoleMaster aussi va se développer progressivement comme un jeu indépendant avec Spell Law (1981, règles de magie qui ajoute des listes de sorts) et Character Law (1982, qui combine les classes de personnages de D&D avec des listes de compétences comme dans Runequest).

    Mais en 1982, le coup de tonnerre qui transforme ICE dans un des géants du jeu de rôle est l'annonce que Pete Fenlon a obtenu la license des droits de J.R.R. Tolkien (que personne apparemment n'avait osé demander avant !).

    Ils sortent aussitôt en 1982 quatre suppléments génériques de campagne se déroulant dans les Terres du Milieu (ils ne publieront leur jeu Middle-Earth Role-Play, MERP, adaptation simplifiée de Rolemaster qu'en 1984) : un supplément général Middle-Earth Campaign and Adventure Guidebook (1982, avec une grande carte originale par Pete Fenlon qui va bien plus loin que celles de Tolkien), trois suppléments régionaux : Angmar: Land of the Witch King par Heike Kubasch, Umbar: Haven of the Corsairs par Brenda G. Spielman et le sujet qui nous intéresse ici The Court of Ardor in Southern Middle-earth par Terry Amthor.

    Angmar et Umbar décrivaient des zones assez peu connues mais Ardor était une création complètement originale, un royaume de Haut-sorciers elfes inspirés du Silmarilion, loin au sud de la carte officielle dessinée par Tolkien. Terry Amthor avait donc plus de liberté et les éléments qu'il crée pour Ardor furent d'ailleurs ensuite récupérés en partie dans le Shadow World des Loremasters (comme le personnage d'Andraax le Scribe p.48, comme le fait remarquer la fiche d'Ardor sur le GRoG).



  • Ardana, or the Ardor


    Le supplément décrit en 52 pages une énorme zone près Mûmakan (pays des Mûmakils, les Oliphants), près de "la baie de Koros", loin au sud d'Erdor et du Harad. La scène est au XVIIIe siècle du Troisième Âge (sans doute à cause d'Angmar). Plutôt que de l'adapter dans la période de la Guerre de l'Anneau (3000 IIIe Âge), il pourrait être plus amusant d'aller directement au Premier Âge mais il faudrait alors modifier toutes les influences numénoriennes.

    La Cour d'Ardor a été formée au Premier Âge par un groupe d'Eldars corrompus par Morgoth, dès l'époque de Valinor. Ardana l'Astrologue noldo a une telle nostalgie des étoiles d'Elbereth et peut-être des deux Arbres qu'elle a décidé de détruire le Soleil et la Lune qu'elle considère comme des abominations. Elle est la plus grande réussite du module, esthète dévoyée plus qu'ambitieuse ou cruelle. Ce Rituel de la Nuit éternelle est encore un nouvel effet de l'arrogance noldor manipulée par Melkor le Noir Ennemi. Le Rituel échoua une première fois à la fin du Premier Âge quand Morgoth fut capturé par les Valar, mais il est destiné à être tenté à nouveau dès que les gemmes d'Ungoliant seront à nouveau réunies [cela fait donc plusieurs milliers d'années qu'ils les recherchent ?].

    La population locale est surtout humaine, avec en plus des Haradrim et des Mûmakani les nobles "Kirani" de la République de Koronande (sombres mais d'origine numénorienne, avec une influence d'elfes sylvains), les fiers Hathoriens blonds (??) d'origine inconnue et l'ancienne colonie numénorienne déchue de Tantûrak. Les Kirani sont sans doute en partie là pour atténuer l'impression de racisme de toute extension sur le Sud des Terres du Milieu (on sait bien qu'il n'y a que l'Occident qui voit la Lumière d'Eru et des Valar, le reste étant plongé dans les Ténèbres de Morgoth et ses serviteurs).

    La Cour d'Ardor compte des PNJ tellement surpuissants que cela en devient presque ridicule et que les PJ risquent donc de jouer les figurants. Ce sont la Dame Ardana (Astrologue 40e Niveau, mère d'un enfant qui serait la "fille" de Morgoth, Morelen l'Etoile Noire), Morthaur (Magicien 40e niveau), Valmorgûl le Sorcier (allié de Sauron, 36e Niveau), Mourfuin (un quasi-Balrog 50e Niveau qui a pris forme humanoïde) et de nombreux autres seigneurs de haut niveau groupés selon plusieurs éléments (Ténèbres, Feu, Air, Terre, Eau) et des artefacts magiques correspondants, selon un système de 24 cartes conçu par Ardana et qui est clairement analogue au Tarot (Bâtons de Feu, Heaumes d'Eau, Orbes de Terre, Epées d'Air). Parallèlement s'est créé une sorte de "miroir", la Guilde des Cinq Eléments qui cherche à contrecarrer la Cour d'Ardor, ce qui crée parfois une symétrie artificielle, comme dans un jeu vidéo (avec Lumière à la place de Ténèbres). Une des bonnes idées du module est la possibilité de traîtres ou d'infiltrations surprenantes des deux côtés de la Cour et de la Guilde, que je ne vais pas gâcher.

    On reconnaît quelques tics de Terry Amthor. Il y a le goût pour des organisations complexes hiérarchisées (comme notamment le "Jerak Ahrenreth", le "Cercle secret" dont la description occupe tant de place dans les textes sur le Shadow World et qui semble une nouvelle version de la Cour d'Ardor). Les Demi-Elfes surpuissants se retrouvent aussi tout le temps dans le monde de Kulthea. Un autre trait est la présence d'androgynes et deux paires de jumeaux dizygotes où à chaque fois la fille est maléfique et le garçon bénéfique (par souci de symétrie, Amthor aurait dû opposer les deux paires). Amthor fut peut-être l'auteur de jeu de rôle qui a mis le plus de gender identities dans ses modules (la "Grande Campagne" que préparait I.C.E. pour le Shadow World avait un personnage pré-tiré, dont le "secret" était son homosexualité, thème peu évoqué ; le seul autre exemple que je connaisse, en dehors de jeux plus modernes comme Vampire, est le scénario WG6 Island of the Ape de Gygax où le personnage pré-tiré du druide Reynard, dont le descriptif dit qu'il veut séduire sa compagne, fut involontairement changé, par une erreur d'édition, en Reynardia, druidesse lesbienne).

    Mais ensuite, le supplément ne décrit plus que les lieux (la force d'ICE étant les cartes) et pas une intrigue. Il est clairement impliqué que les personnages devraient trouver un moyen de lutter contre le Rituel de la Cour mais le maître de jeu doit écrire l'histoire lui-même avec les éléments fournis. C'est un peu décevant mais assez habituel dans les produits I.C.E. qui sont plus des boites à outils que de vrais scénarios.

    Et contrairement à ce que je croyais, il n'y a nulle trace des deux Sorciers Bleus Alatar / Morinehtar ("Qui tue les Ténèbres") et Pallando / Rómestámo ("Qui aide l'Orient"). Il est vrai qu'on est loin au sud et non en Orient. Les Istari principaux arrivent en 1050 du Troisième Âge et sont donc disponibles pour le scénario 650 ans après (il y a même une lettre de Tolkien qui dit que les Sorciers Bleus seraient arrivés dès le Second Âge).

    Il reste un charme particulier de The Court of Ardor, grâce à des thèmes du Silmarilion qui nous changent un peu de Sauron ou de ses Nazgûls comme le Roi-Sorcier d'Angmar. L'arrière-fond est intéressant mais je ne suis toujours pas sûr que la structure formelle du Tarot (qui doit expliquer qu'on mentionne surtout l'influence des Princes d'Ambre de Zélazny) et les symétries détaillées apportent tant que cela pour l'aventure.

    Six ans après, à l'apogée du Middle-Earth Role-Play (MERP), ICE fit d'autres essais dans le Sud inexploré avec Shadow in the South (1988), Warlords of the Desert (1989), Greater Harad et Hazards of the Harad Woods (1990). Mais les ventes baissèrent dans les années 90, ils arrêtèrent la gamme MERP en 1997 et ils perdirent officiellement la license Tolkien en 1999 à cause de leurs dettes envers Tolkien Enterprises, au moment même où l'adaptation du Seigneur des Anneaux leur aurait permis d'améliorer leurs ventes (la license fut reprise par Decipher, qui fit un nouveau jeu de rôle dans ce monde, un peu plus fidèle à l'univers bien que les droits soient limités au film et non à toute l'oeuvre de Tolkien, mais ce Lord of the Rings RPG n'eut jamais le succès de MERP en son temps). ICE eut du mal à s'en remettre, faisant faillite plusieurs fois (Fenlon repartit dans les jeux informatiques), mais les survivants se concentrent aujourd'hui sur leur propre "Monde des Ombres" (il faudra d'ailleurs que je redéveloppe ce que j'avais écrit sur le Shadow World en 2005).