dimanche 30 mars 2008

Humean Supervenience and Six-Sided Dice

The British band Fujiya & Miyagi has a brillant video where the images supervene on the arrangement of the dots and colours of arrays of dice (the song is Ankle injuries, in the Transparent Things album, 2006 ; the refrain* is "Like pixelated scraps of jazz max in your head").



*Irrelevant note: Deconstructionists must love the odd etymology of refrain, it comes from *refraindre, as if Repetition could be related to Repression and Rupture.

Retour des houles ou grosses vagues qui viennent se briser contre les rochers. (Dict. XIXe s. et Ac.).
Étymologie 1. 1392 « un ou plusieurs mots qui se répètent à la fin de chaque couplet d'une chanson » (EUSTACHE DESCHAMPS, L'Art de dictier ds Œuvres, éd. G. Raynaud, p. 270); Réfection d'apr. refraindre de l'a. subst. refrait « mélodie » (fin XIe s., RASCHI, Gl., éd. A. Darmesteter et D. S. Blondheim, t. 1, p. 122), « répons liturgique » (déb. XIIe s. St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 579) et au fig. « propos répétés, pensées constantes » (ca 1150 R. de Thèbes ds T.-L.), part. passé subst. de refraindre « briser » d'où « réprimer, modérer » et en parlant de la voix « moduler », du lat. pop. *refrangere, réfection d'apr. frangere « briser » du lat. refringere « briser, déchirer » (v. réfringent); le refrain revenant à intervalles réguliers brise en quelque sorte la suite du chant.

samedi 29 mars 2008

On the Bullshit Department



George Carlin (71 ans) est l'un des plus grands humoristes américains, une sorte d'ancien hippie qui a gardé tout ce qu'il restait de l'esprit contestataire des années 60. L'entendre aujourd'hui évoque une sorte de musée par rapport à ce qu'est devenu l'Amérique depuis les mandats Reagan et Bush. Tout le stand-up s'est plutôt orienté vers l'humour "observational", plus consensuel.

Carlin est souvent connu pour son usage de termes censurés alors qu'on note moins la qualité d'écriture dans les synonymes. Notre société moins réprimée verbalement ne voit pas la transgression que cela a l'air de toujours représenter pour eux.

Il peut varier entre des sketchs assez habituels sur des embarras sociaux, que même Biguard pourrait faire, et des questions acides sur le Parti républicain encore plus hargneuses que ce que ferait Charlie Hebdo (ce qui a fait qu'on lui a reproché d'être un peu prédicateur dans sa dénonciation du Bullshit religieux).

Le début de ce sketch de 2007 est un peu cliché sur le besoin d'esprit critique mais la suite est vraiment intéressante dans la critique de la "Culture of Pride" ("Being Irish is not a skill! It's a fucking genetic accident! Would you be proud to have a predisposition for colon cancer?").



Oui, ce qu'il dit paraîtrait assez trivial ici, mais sa critique sceptique porte souvent sur des fictions et il prend une sorte de ton nietzschéen assez rafraichissant là-bas.

Sur le langage, ce sketch (du spectacle Back in Town, 1996) sur les expressions prises au pied de la lettre comme "It really takes the cake" me fait plus rire que les métaphores filées de Raymond Devos :

Comment éviter un nouveau désastre Royal



De tempérament fataliste, je me résigne déjà à la victoire de Royal dans d'éventuelles primaires du PS. Les médias sarkozystes feront tout pour faire gagner un candidat aussi lamentable.

J'ai commis deux erreurs en 2006-2007, la première de croire que Royal pouvait être battue en interne (même si je reconnais que Fabius, DSK ou Jospin n'auraient peut-être pas fait beaucoup mieux au second tour), la seconde d'avoir cru que les sondages suravantageaient le maire de Neuilly.

Je ne crois pas du tout à la victoire du courant de Delanoë, qui n'a pas de dimension nationale et qui ferait encore moins bien dans le pays. Quoi qu'il fasse, il n'aura que l'image du bobo parisien et c'est exactement ce qu'il faut éviter dans la mise en scène actuelle.

En revanche, un point sur lequel je suis d'accord avec les Delanoïstes (je viens d'entendre Anne Hidalgo à ce sujet - et il est rassurant de voir qu'elle s'exprime infiniment mieux que Royal) comme avec les Royalistes (si Royal ne choisit pas tactiquement de s'effacer derrière Dray) est que nous devons choisir clairement la voie d'un chef de l'Opposition : un ou une secrétaire du PS qui soit en même temps le candidat officiel pour 2012, même si lui ou elle peut remettre sa confiance en jeu juste avant l'élection dans 4 ans.

Les deux autres candidats mineurs au poste de secrétaire Julien Dray (ex-Royaliste) et Pierre Moscovici (un peu plus proche de DSK) prétendent tous les deux qu'il faut imiter le mandat raté de François Hollande et désolidariser les deux fonctions : ils seraient Secrétaires mais s'engageraient à ne pas se présenter. C'est une ruse tactique pour devenir des candidats de compromis, et c'est d'une rare médiocrité. Il n'y a aucun argument raisonnable pour maintenir la distinction. Elle n'existe que pour apaiser les courants et par manque de charisme du leader. Les choses seraient bien plus claires avec un ou une secrétaire comme "candidat naturel" comme ce serait le cas dans toutes les autres démocraties parlementaires - même si notre régime est présidentialiste et plus parlementaire.

Il ne reste donc que l'espoir de Martine Aubry. Je ne vois qu'elle qui puisse nous sauver de Royal, et malgré tous les problèmes d'image associés aux 35 heures, elle me paraît bien meilleure que Delanoë, Fabius ou DSK pour incarner le Tout sauf Royal.

En gros, voilà les avantages/désavantages des divers candidats :

  • Royal :
    + la seule candidate à être déjà passée au second tour des Présidentielles (la belle affaire). Elle pourra se présenter comme la nouvelle Mitterrand, et son expérience principale se limite à cet échec.
    - La plus mauvaise oratrice de l'histoire de l'humanité, capable d'être cassante et banale en même temps, ennuyeuse et irritante.
    - a réussi à faire fuir les électeurs même après le complexe de 2002 et la crainte anti-Sarkozy.

  • Delanoë :
    + heu.... je ne vois pas... Le vélib ?? Il a surfé sur la vague sociologique des grandes villes et n'a pas trop effrayé l'électorat parisien.
    - Effrayera les centristes encore plus que Royal.
    - Voix nasale agaçante, même s'il est bien meilleur orateur que Royal (enfin, tout homme politique est meilleur orateur que Royal).

  • Fabius :
    + le plus expérimenté, ancien Premier ministre.
    + le plus vieux (c'est un avantage dans un pays vieillissant, quel que soit le jeunisme des médias)
    ---- Très impopulaire. Il réussit à faire peur au centre et à l'extrême gauche simultanément.

  • DSK :
    +/- Image de technocrate, expertise en économie.
    + Il pourrait exploiter son poste de Président du FMI.
    - Il a (encore plus qu'avant) une image de vendu.

  • Martine Aubry :
    + Parle normalement, contrairement à Royal.
    + Peut défendre mieux que les autres les questions sociales.
    + Peut attirer les Centristes grâce à sa filiation.
    - A réussi à perdre à une législative à Lille, est détestée par une partie du PS du Nord.
    - Pourra servir de bouc-émissaire pour toute discussion sur les 35 heures.


  • Donc désormais, mes préférences s'ordonneraient à peu près :
    Aubry > Fabius > DSK > Royal > Delanoë

    (j'ai remis Fabius devant DSK depuis les propos lénifiants de ce dernier sur le Président français actuel, et je continue à penser que Royal aurait plus de chances que Delanoë, même si cela reste insuffisant).

    Sachant que cette analyse est vaine, et que Royal va gagner de toute manière, pour se faire ensuite écraser par un quelconque membre de la dynastie Sarkozy ou par n'importe quelle chèvre présentée par cet immonde Claude Bébéar et ses amis.

    mercredi 26 mars 2008

    Risques de déménagement



    C'est un peu la panique dans mon immeuble, qui annonce une forte hausse du loyer qui serait le nom poli d'une expulsion. Je ne connais pas encore le montant mais cela risque de me contraindre à déménager. Or, je suis prêt à bien des sacrifices, à changer de métier ou de perspectives sur la vie, mais les déménagements sont la chose que j'ai le plus en horreur. Mettre une vie dans des caisses, vivre dans l'entre-deux où on ne retrouve rien et se sentir échoué sur une nouvelle île à coloniser, me déprime encore plus que normalement. Ce doit être un aspect de ma "néophobie" conservatrice, ou bien le fait que j'ai déménagé environ dix-sept fois enfant mais la simple idée de le faire me paraît stupidement insurmontable.

    Il se peut que tout cela soit pour le mieux, bien sûr, et que cela me contraigne à me sentir plus "chez moi" au lieu de cette impression de squattage ou d'hotel dans mes vieux meubles datant du mandat de Giscard d'Estaing et qui sont déjà passés par deux générations avant moi. Qui sait, cela pourrait me pousser à "investir" dans un appartement que j'aurais le droit d'acheter cette fois. Peut-être qu'une telle crise & révolution me rendrait plus mûr, rationnel et constructif.

    Non.

    Soyons sérieux. Je suis un time discounter qui refuse de croire à la possibilité de réalisation du futur et mon présentisme insensé ne risque pas d'être réfuté ou guéri parce que je vais me retrouver dans un appartement plus petit et où je ne pourrais même plus bouger.

    Oh, et mes demandes de mutation pour travailler moins loin sont refusées.

    Et mon poste est supprimé, ce qui fait que je vais bouger de toute façon au moins professionnellement, si ce n'est pour le logement.

    mardi 25 mars 2008

    Ebauche de préambule à une introduction à B. Williams

    J'ai eu une illumination l'autre jour en pensant à Gattaca et je me suis soudain demandé si je ne pouvais pas être plus d'accord avec Bernard Williams que je ne le croyais. Je crois même que je me suis dit pendant un moment d'euphorie que je l'avais compris et qu'il avait raison. Je me rends soudain compte que je n'ai quasiment rien lu en éthique (Aristote et Kant, c'est quasiment tout).

    Williams est difficile à suivre parce qu'à première vue, il a l'air de n'être que critique et destructeur de tous les systèmes de morale quels qu'ils soient. Il est bien plus facile de comprendre comment il réfute une position que ce que pouvait bien être la sienne (c'est d'ailleurs un peu le même problème pour ses textes sur l'Identité personnelle, où il court-circuite surtout des arguments de l'identité psychologique sans qu'on voie toujours bien comment il fonde l'identité "somatique"). On retient surtout de lui ses attaques violentes contre l'Utilitarisme - il considérait que l'Utilitarisme était une doctrine absolument absurde alors qu'elle occupe le centre de toute discussion morale anglo-saxonne depuis deux siècles. De plus, Williams est une machine redoutable à arguments, ce qui fait qu'il tire dans tous les sens pour dissoudre les théories morales, au point de ne laisser que des champs de ruine - il qualifie d'ailleurs presque toutes les théories principales, que ce soit la moralité déontologique kantienne, le conséquentialisme utilitariste ou bien tout l'examen analytique des fondements de l'éthique de stupides, sans intérêt, à côté des vrais problèmes, vulgaires et surtout (c'est un terme central) "inhumains".

    L'autre difficulté est qu'il a une culture humaniste supérieure à de nombreux Continentaux et qui doit intimider le scientisme anti-historique des Analytiques. Il a des exigences exorbitantes pour ses lecteurs. Il faudrait qu'ils soient complets : assez "continentaux" et philodoxes pour bien connaître la tradition, y compris les Hegel et Nietzsche, mais aussi assez analytiques pour le suivre dans le labyrinthe de ses réfutations ; un Romantique échevelé dans l'uniforme impeccable d'Oxford. Williams a besoin de créer ses lecteurs. Williams est une Europe qui n'a jamais existé, qui allierait l'humanisme érudit à la nouvelle éristique formelle.

    Quand on le lit, on goûte à nouveau la saveur douloureuse et mondaine des dilemmes vitaux et non pas le simple éther des arguments scolastiques. Il commence d'ailleurs en disant que le problème principal de la philosophie morale (surtout la méta-éthique) est qu'elle est incroyablement ennuyeuse. En un sens, dans une tradition qui refuse la contextualisation historique et sociale, il a essayé de recontextualiser sans déraper vers un relativisme refoulé.

    En un siècle nietzschéen qui prétend dépasser l'humain et chanter la Mort de l'Homme, Williams a été cette incongruïté, un Nietzschéen éduqué dans les arguments analytiques wittgensteiniens et qui prétend fonder certaines formes de norme sur un point de vue sur l'humain. Cette Humanité n'est pas un transcendantal anhistorique, et ce n'est pas simplement un retour à un fait générique, à "la Nature humaine" des empiristes (ou à l'inverse notre réductionnisme évolutionniste/innéiste actuel). C'était un rationaliste se moquant des oeillères des rationalistes, un moraliste se moquant des insuffisances des moralistes, et un Nietzschéen humaniste.

    Je continue d'avoir des problèmes avec l'exaltation (d'ailleurs très nuancée) de l'éthique de la vertu (et il me manque la connaissance d'Anscombe et Alasdair McIntyre pour mieux comprendre les limites d'un retour à ces formes d'éthique artistotélicienne).

    Un principe semble être une sorte de "situationisme moral" (ou particularisme moral) qui prétend refuser toute généralisation ou remontée à des principes moraux. Il dit souvent qu'il serait inhumain d'exiger à Monsieur Untel de faire F et pourtant qu'il serait aussi absurde de passer au niveau supérieur en disant qu'on ne peut exiger à qui que ce soit dans la même situation de faire quelque chose d'analogue à F.

    Il donne de nombreux exemples de ce refus de passer au niveau supérieur. Prenons un homme échoué sur un canot empli de rescapés qui décide de frapper à la rame des nageurs supplémentaires qui aurait fait chavirer le canot. Il serait sans doute inhumain de le condamner hâtivement au nom d'une morale de l'empathie ou du devoir inconditionnel, et pourtant il serait tout aussi inhumain de généraliser comme le font les Utilitaristes en disant que tout être humain dans ce genre de situation doit optimiser les conséquences.

    Et j'ai compris soudain son argument en entendant une personne défendre l'égoïsme. Je crois qu'on peut dire à la fois que l'égoïsme de chacun a quelque chose de pardonnable et pourtant qu'il serait immoral et monstrueux de justifier en soi l'égoïsme.

    Un monument éphémère du MIT

    Pour honorer qui vous savez par un icosaèdre...


    dimanche 23 mars 2008

    Expedition au Château Maure



    Hier, nous avons finalement organisé notre "E.G.G.Fest" et pu démanger nos souvenirs sur les origines de cette activité. Nous avons joué le WG5 Mordenkainen's Fantastic Adventure (publié en 1984 par Gary Gygax et son premier joueur Robert Kuntz, alias Robilar, mais développé 12 ans avant, dès la première campagne de 1972).

    Le jeu a duré environ 8 heures mais j'avais ajouté un petit prologue urbain dans la cité de Grisfaucon pour ne pas trop se limiter au Porte-Monstres-Trésors, et la partie est allée ensuite un peu plus vite que prévu lors des combats.

    Le WG5 est un module particulier, bien adapté pour l'hommage à Gary Gygax parce qu'il est prévu pour quatre personnages pré-tirés qui sont tous les quatre des personnages joués par E.G.G. : Mordenkainen le magicien (12e niveau à ce moment-là, dans la 3e édition, il est mis au niveau dit "épique" au 25e niveau), Bigby (mage 10e niveau), le Patriarche Riggby (clerc de Boccob, 9e niveau) et Lord Yrag (guerrier 9e niveau, avec des caractéristiques de combat assez effrayantes, Classe d'armure -4, 80 points de coup). Gygax avait de toute évidence de gros problème pour nommer ses personnages - cela explique peut-être pourquoi les PNJ sont si anonymes dans des scénarios comme le B2 ou le T1). On a retenu Mordenkainen (dont le nom est une imitation du héros du Kalevala Lemminkäinen) parce qu'il est l'un des rares à ne pas être simplement un anagramme aussi transparent que "Yrag", "Tenser", "Serten" ou "Zagyg Yragerne" et parce qu'il était le personnage favori d'E.G.G..

    Mordenkainen sur son Tapis volant


    Le module est simple. Les 4 personnages sont censés entrer dans le Château Maure, un donjon caché et impénétrable, piller les trois niveaux occupés par un sorcier, Eli Tomorast, et vaincre le Démon majeur Kerzit (dont le nom n'est pas très effrayant, il me fait tout de suite penser à Kermit la Grenouille).

    Un premier problème que j'avais est qu'on ne voyait pas très bien pourquoi quatre personnages si puissants venaient ainsi s'aventurer seuls dans le pillage. J'ai donc ajouté que Mordenkainen se cachait d'assassins envoyés par Iuz l'Ancien et qu'ils obtenaient les informations sur Tomorast alors qu'ils étaient encore en ville au lieu de tomber simplement sur lui.

    Le trésor suprême du scénario est censé être le Tome du Cœur Noir, un ouvrage de démonologie maléfique qui permet de contrôler Kerzit, de créer des Golems et de voyager vers d'autres plans comme la "Cité Perdue des Anciens" qui était annoncée comme une suite possible du scénario. Cela posait quelques problèmes. Tomorast est censé avoir trouvé le Tome et avoir invoqué Kerzit pour garder l'ouvrage mais à présent il est censé devoir adorer Kerzit pour avoir le droit de consulter le Tome... Un autre problème est que même des Neutres comme Mordenkainen n'auraient pas tellement d'intérêt à être corrompus par un ouvrage de démonologie, ce qui donnait une récompense assez décevante, je trouve (même si l'ouvrage a aussi des rituels aux deux frères divins Fharlanghn le Voyageur et Celestian l'Astronome pour atteindre la Cité des Anciens). Comme ce n'était qu'un one-shot et que je n'avais donc pas à craindre de "déséquilibrer" complètement la campagne avec une Relique, j'ai remplacé le Tome par un autre livre plus emblématique encore de la campagne de Grisfaucon le Codex des Plans Infinis, plus puissant mais assez similaire au Tome puisqu'il permet aussi l'accès à une cité d'une autre dimension, la Cité d'Airain des Efreets.

  • Le Codex des Plans Infinis

    Le Codex apparaît dès Original D&D, Supplément III Eldritch Wizardry (1976), p. 43 (juste avant la Main de Vecna dont je parlais l'autre jour).

    "Il y a longtemps, le Clerc-Sorcier qui régnait sur les Îles de l'Affliction dans le Lac des Profondeurs Inconnues utilisa cet ouvrage pour acquérir la connaissance d'un grand pouvoir. Il est dit que cette sagesse arcane fut ce qui causa finalement la chute du prêtre-mage et fit sombrer son domaine dans les flots. En tout cas, le Codex des Plans Infinis survécut au cataclyspe puisque le sorcier Tzoonk, avant de disparaître, inscrivit ce qui suit :
    "... et alors la voix résonna comme du fer creux et annonça l'arrivée de la Cité des Dieux. De tels événements futurs ne m'intéressaient pas, et je donnai donc l'ordre "Réponds-moi dans... (passage illisible dans le fragment)... et en sachant à la fois le secret et le sortilège pour ouvrir la Voie à cette horde du Prince démon Nql (...) réunissant les Neuf comme il était requis. En addition de moi étaient les Serviteurs Dyoph nécessaires pour transporter le Codex, car je ne pouvais le laisser derrière moi, même pour un voyage aussi périlleux que celui-ci. " (Fin du fragment)

    A cause de cela et d'autres rumeurs vagues, il semblerait que le Codex soit d'une taille inhabituellement massive, même pour un tome aussi magique et qu'il est difficile à transporter. Ouvrir le livre est chercher une mort instantanée et une totale annihilation, car il est 99% certain de détruire ceux qui osent chercher une une maîtrise immédiate de son contenu. Si une personne en-dessous du 10e niveau ose même toucher sa couverture, il le tuera tout aussi surement.
    Pouvoirs proposés : Clairvoyance, Lire Magie, Parler avec les Plantes, Invocation de Monstres. Miracles : Lever les morts, Charisme surhumain. Effets indésirables : le lecteur doit faire un sacrifice humain au Livre à chaque lecture et après un certain nombre d'utilisations, le lecteur est transformé en Démon ou Divinité mineure et ne peut plus être joué."

    Les pouvoirs semblent curieusement choisis (Parler avec les plantes ??).

    Le DMG 1e édition (1979) p. 156 précise que le Lac des Profondeurs Inconnues est le Lac Nyr Dyv au bord de Grisfaucon, et n'a pas exactement le même fragment de Tzoonk/Tzunk (qui est une allusion au joueur Robert Kuntz) :

    "... et les deux esclaves forts soulevèrent le Codex du dos de la Bête. J'ordonnai alors de baisser les Portes de Bronze, elles furent sorties de leurs gonds et résonnèrent sur la pierre. Les Efreet hurlèrent de peur et s'enfuirent quand je fis lire les pages et la Bête entra dans la Cité d'Airain. J'étais à présent, moi, Tzunk, le Maître du Plan des Cieux en Fusion. D'une main assurée, je refermai le Tome de Yagrax [le Codex], en craignant que..."

    Le livre est alors décrit comme ayant 99 pages et il donne 1% cumulatif chance de trouver la mort par une catastrophe. Chaque page conduit à un Plan différent. Le livre tue toute personne de niveau inférieur à 11 qui le toucherait mais les personnes de niveau supérieur ont droit à un jet de sauvegarde.

    Le Codex n'est plus dans le DMG 2e édition mais réapparaît dans le Book of Artifacts (1993) p.27. David Cook ajoute l'idée que le livre est fait de plomb et est de couleur d'obsidienne, avec une infinité de pages (il imite ici une autre relique, le Livre Sans Fin). C'est d'ailleurs un infini "potentiel" : le livre a l'air d'avoir une taille finie (il suffit de deux hommes pour le porter) mais il y a toujours une nouvelle page qui apparaît dès qu'on en tourne une. Il peut invoquer un Grand Démon un jour par mois, donne 4 sortilèges et 4 pouvoirs majeurs.

    Récemment, l'Epic Level Handbook (2002) de Bruce Cordell pour D&D 3e édition a ajouté d'autres aventures du Codex : l'Archimage Tzunk fut finalement démembré par les Efreets de la Cité d'Airain,l'ouvrage passa au démon Schaethreth puis revint à Kerleth Helvetius, allié du Sultan des Efreets. En revanche, Sir Robilar's City of Brass (2003) de Robert Kuntz pour HackMaster (la parodie d'AD&D) n'a aucune mention du Codex.

    L'érudit de Greyhawk Tetreault a un long article sur le Codex, qui tente de détailler plus les histoires mystérieuses de Yagrax (ici identifié au Prêtre-Sorcier des Îles de l'Affliction, contrairement au Book of Artifacts qui les séparait), de l'Archimage Tzunk, de Zagyg (qui aurait possédé le Codex avant Tzunk). Il insiste sur le fait que le Codex a ses propres intentions, qu'il choisit les lecteurs voyageurs susceptibles d'ajouter des pages supplémentaires et serait un Artifact encore plus ancien que les dieux, ce qui en ferait une sorte de "Coran incréé".


  • La Maison de Malemort

    (Je reprends cette traduction française à cette campagne, qui a adapté le Maure Castle sur les Royaumes Oubliés)

    Le Château Maure est censé être nommé d'après une famille de magiciens Suelois, les Maure, qui se seraient installés en Urnst après la "Pluie du Feu Incolore" qui détruisit leur civilisation. Mauros est une racine signifiant "noir" mais même les anglophones peuvent entendre une confusion possible avec la racine latine "mort". Le nom de ces Maures doit venir inconsciemment de "Moor" (qui signifie en anglais à la fois un Maure, un Noir et une Lande) comme dans Blackmoor, la première campagne de D&D de David Arneson (je viens de découvrir en passant que contrairement à ce que je croyais, ce mot de "Maure" n'a rien à voir avec Saint Maur, qui serait la même racine qu'Amaury).

    Le scénario n'explique jamais ce qui est arrivé aux Maure mais Robert Kunst a expliqué depuis que des descendants de cette Maison maudite vivent toujours à Seltaren en Urnst, et que certains membres sont encore présents comme Liches dans des Cryptes sous les ruines. On sait seulement que les ruines supérieures du Château sont inoccupées, déjà pillées depuis longtemps et que les ruines inférieures au contraire sont inaccessibles avant le scénario, avant que Mordenkainen n'obtienne la Clef d'Argent de Dalt (demi-dieu des portails) pour ouvrir les Portes Impénétrables (le scénario ne dit jamais comment Tomorast y est arrivé, avait-il le Codex avant ou bien est-ce en y entrant qu'il l'a retrouvé ?).


  • Les Clefs de l'Ouvreur et les Neuf Dieux Prisonniers

    Aucune explication n'est donnée sur l'origine de cette Clef d'Argent. Il semble que Mordenkainen a pu plaire à Dalt en ayant involontairement libéré avec Robilar les Dieux prisonniers du Château Greyhawk et j'ai donc décidé de faire de Mordenkainen "l'Ouvreur des Portes", ce qui correspond bien à un des thèmes répétés de ses campagnes. Quand les aventuriers entrent dans des Oubliettes et des Cryptes, ils doivent faire aussi attention à ce qu'ils font ressortir du souterrain (j'imagine que c'est une métaphore de plus sur la descente aux Enfers de l'Inconscient d'où peuvent émerger les pulsions refoulées). Dans la campagne d'origine, ils libérèrent des divinités qui devinrent neuf dieux importants de cet univers : Celestian l'Errant des étoiles, Erythnul le Multiple, Heironeous l'Invincible, Hextor le Héraut des Enfers, Iuz l'Ancien, Obad-hai le Shalm, Olidammara le Filou rieur, Ralishaz le Malchanceux, Trithereon l'invocateur. Comme ces dieux devinrent importants pour l'univers d'Oerth, on ne pouvait croire que Zagyg ait réussi à détenir de tels personnages dans ses Pièges à Dieux (qui apparaissent dans Unearthed Arcana). Dans la version officielle, seul Iuz fut cité (et Wastri, le Prophète Bondissant, dieu des batraciens et de tous les racismes, dans un passage de City of Greyhawk). La liste fut limitée à neuf demi-dieux et fut à peu près stabilisée par l'érudit Erik Mona, ils libérèrent des dieux plus mineurs qui correspondent aux neuf alignements : Merikka (LB, agriculture), Alia la Sévère (LN, éthique), Wastri (LM, racisme), Xilonen (NB, maïs), Zuoken (N, Maîtrise de soi), Chitza-Atlan (NM, Enfers de Mictlan), Tlazoteotl (CB, fécondité), Rudd (CN, chance), Iuz (CM, douleur). Ces trois dieux aztèques (Xilonen, Chitza-Atlan et Tlazoteotl, qui est parfois classée aussi comme Chaotique Mauvaise et non Chaotique Bonne) sont des dieux adorés par les Olmans en Amedio dans le scénario C1 The Hidden Shrine of Tamoachan, 1980 (ce qui fait d'ailleurs de ce panthéon aztèque le seul panthéon terrestre qui soit directement importé sur Greyhawk, de même que les Royaumes Oubliés ont directement repris le panthéon égyptien, mésopotamien et quelques divinités scandinaves ou finlandaises comme Tyr ou Loviatar).


  • Le déroulement du module

    Nous n'avons pas entièrement suivi les pré-tirés, gardant seulement Riggby et Yrag, prenant Mordenkainen comme PNJ plus un couple de deux PJ demi-elfes de Célène [en fait importés d'une autre campagne], Barn Aerlint le Voleur/Mage, fidèle d'Erevan Ilesere (dieu des mauvais tours), et Carn Aerlint le Rôdeur, fidèle de Solonor Thelandira (dieu de la chasse) et de Fharlanghn le Voyageur.

    La partie fut très amusante mais je continue d'avoir du mal avec tout le concept de "dungeoncrawling". Un labyrinthe ne peut qu'être répétitif, je ne sais vraiment comment le renouveler dans la narration. Chercher pièges, ouvrir portes, tuer monstres, chercher pièges, identifier trésor. J'en venais à prier qu'ils ne trouvent pas les salles les plus ennuyeuses.

    Gygax raconte (dans Dragon Annual 2) qu'il avait créé tout l'univers de Greyhawk mais que ses joueurs ne voulaient en fait jamais quitter les alentours du Château de Grisfaucon qui leur offrait toutes les aventures dont ils avaient besoin. J'ai du mal à imaginer qu'on puisse ainsi préférer l'exploration des tunnels et des souterrains à l'exploration d'une monde fictif en "plein air", mais c'est peut-être de la claustrophobie de ma part. Généralement, mon intérêt commence à décroître dès que je sens que l'inévitable succession Porte-Monstre-Trésor va apparaître (or, tous les scénarios américains semblent au moins finir ainsi).

    Je ne suis pas du tout tacticien et j'avais du mal à optimiser les PNJ. Le magicien 14e niveau Eli Tomorast, notamment, fut assez facilement vaincu physiquement parce qu'il échoua à résister à un sort de Silence du prêtre Riggby. Le guerrier Yrag (avec sa monstrueuse classe d'armure -4 qui le rend quasiment intouchable) put donc l'achever. Je fus encore plus surpris par l'échec du démon Kerzit. Un anneau trouvé dans le souterrain donnait une protection de dix rounds contre un démon et permit à Yrag, aidé d'un Efreet invoqué par Mordenkainen, de vaincre le démon de XVe niveau sans grande difficulté (l'Efreet fut d'ailleurs leur seule perte, en dehors d'un sort de Missile Magique 14e niveau de Tomorast qui avait presque tué Carn Aerlint le demi-elfe).

    Je crois que ce fut mon premier "vrai" AD&D, après 24 ans de jeu de rôle (j'ai décrit mes campagnes précédentes, où D&D fut nettement moins important que Runequest). Certaines règles, comme l'initative à chaque tour, sont vraiment mal faites (je crois avoir compris que ce fut un cas où AD&D2 a vraiment utilement révisé le système). Il y a des règles que sans doute personne au monde n'a jamais appliquées tant elles seraient complexes, comme le fait que les armes ont des bonus différenciés de manière non-linéaire selon les différents types d'armures (alors que la description des PNJ n'indique souvent que leur Classe d'Armure abstraite, comprenant les divers bonus, et non pas l'armure précise). Gygax ne testait peut-être pas assez ses divers sous-systèmes contradictoires (il a avoué notamment qu'il n'aimait pas son système de psioniques et qu'il avait fini par le déconseiller).

    Une autre règle peu appliquée du vrai système doit être la dépense d'argent nécessaire en plus des points d'expérience pour avoir le droit de changer de niveau. Les caractéristiques influencent aussi assez peu les chances (la Dextérité, par exemple, influence les armes de jet mais pas l'attaque en melée en dehors de bonus à l'initative et à la Classe d'armure). A l'inverse, AD&D officiel n'a pas encore la règle universellement adoptée du "jet sous une caractéristique" (qui apparut, paraît-il, dans le Dungeonner's Guide de Doug Niles).

    Mon principal reproche au système de D&D est la gestion des "points de coup" (ou points de vie, comme on dit le plus souvent). C'est un des aspects les plus fondamentaux du jeu et j'imagine que même D&D4 (qui abandonne pourtant des pans essentiels comme Alignements et Magie Vancienne) n'osera ou ne pourra revenir sur ce point. Les personnages ayant vite des douzaines et douzaines de points de vie (Yrag en avait 80, autant que la plupart des démons et petits dragon, les mages tournaient plutôt autour de 50), on a des écarts énormes entre les armes normales (1d4, 1d6 ou 1d8 points de dégats) et des sorts qui peuvent faire parfois des douzaines de dés de dégats (certes, le problème est moins grave que dans les jeux Palladium).

    Je comprends bien l'avantage de ce genre de système "épique". Un héros de haut niveau peut en toute confiance combattre des hordes d'ennemis, alors que dans un jeu simulationniste comme Runequest même le guerrier le plus expérimenté pourra toujours se faire tuer par une réussite critique d'un adversaire chanceux.


  • More Maure ?

    Le Château Maure a depuis été adapté et réactualisé pour D&D 3.5 dans des numéros du magazine Dungeon #112 (2004) par Robert Kuntz. L'histoire se passe 20 ans après le scénario originel de Mordenkainen's Fantastic Adventure, mais semble être quasiment un remake un peu modernisé, avec une salle de Statues en plus. Kuntz a ajouté deux scénarios "Chambers of Antiquities", Dungeon #124 et "Maure Castle: Greater Halls", Dungeon #139. Il avait aussi donné une sorte de suite avec Garden of the Plantmaster pour le jeu parodique HackMaster, et c'est un fragment de la Lost City of the Elders annoncée à la fin du scénario. Le récent fanzine Oerth Journal #23 est un numéro spécial consacré au Château Maure et je l'ai d'ailleurs utilisé pour avoir l'accroche du scénario (Terence le hobniz qui est un ancien valet de Tomorast, tout comme Arley le Tisserand, un de mes PNJ favoris que mes joueurs n'ont hélas pas rencontré au premier étage parce que je craignais qu'il puisse facilement allonger le scénario).

    Par ailleurs, le scénario indique des pistes vagues vers d'autres dimensions. En plus de la fameuse Cité perdue des Anciens, il y a une allusion au scénario WG4 Temple of Tharizdun où Tomorast aurait été initié (mais il n'y a pas de rapports précis entre Kerzit et Tharizdun, du coup j'ai ajouté plutôt un rapport avec Fraz-Urb'luu (Monster Manual II, p. 39), le Prince de la Tromperie qui fut aussi libéré d'une statue dans le Château Greyhawk).

    Un autre indice très obscur fait allusion à un lien entre Tomorast et Rauxes, la capitale du Grand Royaume. Cela pourrait donner des idées d'extension vers le Sur-Roi Ivid V l'Immortel, le monarque dément du Grand Royaume d'Aerdie. On sait qu'Ivid adore le diable Baalzephon et donc qu'il ne doit pas vraiment s'associer aux Démons proprement dits à cause du concept d'alignement (les Diables Loyaux Mauvais des Enfers ou Baatezu luttent contre les Démons Chaotiques Mauvais ou Tanar'ri). Cela donnerait au moins trois forces distinctes si on ajoute Tharizdun, le dieu de l'entropie.



  • Appendices :
    Mordenkainen a les caractéristiques suivantes dans ce module :
    Portrait de Mordenkainen Magicien 12e Niveau
    Force : 10
    Intelligence : 18
    Sagesse : 15
    Dextérité : 17
    Constitution : 17
    Charisme : 18
    52 hp, CA 1 (Grâce à des Bracelets de Défense)

    Son livre de sorts contient tous les sorts de Niveau 1-6. Mordenkainen n'a pas encore inventé ses sorts fétiches qui portent son nom dans AD&D : Mordenkainen's Faithful Hound (5e niveau, crée un chien fantôme de 10 dés de vie, qui fait 3d6 points de dégats), Mordenkainen's Sword (7e niveau, crée une Epée qui se bat comme un Guerrier au niveau égal à la moitié du niveau du lanceur, 5d4 points de dégats) et enfin Mordenkainen's Disjunction (9e niveau, décompose un objet magique, y compris une relique, en ses composantes, voir Unearthed Arcana, 1985, p. 65, je ne compte pas ici l'apocryphe Mordenkainen's Force Missiles)

    [La série de vidéos parodiques sur D&D PHB PSA a aussi un bref passage avec Mordenkainen's Invisible Scalp et Mordenkainen's Invisible Breakfast].

    Voir aussi cette biographie et son entrée sur Wikipedia.

    Pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien



    La réponse très actualiste ("Things that are not can't be because then nothing would not be [...] and there is no room for all that shit") commence à environ 7 minutes sur 10 dans ce sketch de Louis C.K..

    mercredi 19 mars 2008

    Everybody kills Hitler on their first trip!

    Si quelqu'un écrit une nouvelle anthologie de voyages dans le temps dans le genre de celles de Jacques Goimard et Gérard Klein, il faudra faire du lobbying pour y inclure cette petite nouvelle dans la revue Abyss & Apex de l'hiver dernier : "Wikihistory". Classique, mais assez drôle comme parodie du style des Wikipédistes ou des forumistes internet en général.

    mardi 18 mars 2008

    Les Modules de Gygax




    Il faut que je choisisse un scénario pour la E.G.G.fest/GaryCon. J'ai tendance à trouver tous les scénarios de D&D assez nuls. X2: Le Château d'Ambreville (1981) de Tom Moldvay (à condition d'y ajouter le Gazeteer 3 sur les Principautés de Glantri par Bruce Heard, et éventuellement le joli remake pour AD&D qu'était Mark of Amber, 1995) est bien meilleur que les classiques de Gygax grâce à la famille de PNJ folle des Ambreville, mais il a le triple défaut d'être pour le tardif Basic/Expert D&D de Moldvay (et non OD&D ni AD&D), d'être sur Mystara (et non Greyhawk) et surtout de ne pas être très typique.

    Mon critère est que (1) cela doit être de Gygax et que (2) cela doit un peu faire découvrir sa meilleure création, son univers de Greyhawk. Or ces deux critères se contredisent un peu car les vrais scénarios de Gygax sont souvent très génériques et qu'il n'a jamais vraiment montré son propre monde en dehors de quelques oubliettes qui peuvent être mises n'importe où.

    Gygax a écrit plusieurs séries de scénarios qui sont regroupés par une lettre. Chronologiquement par ordre de publication, ce sont :


    • les G/D (qu'on appelle GDQ),
    • les S,
    • les T,
    • les WG
    • et enfin les EX.
    Soit environ 15 scénarios (on pourrait y ajouter le très mauvais B2, mais il est pour Basic D&D, pas AD&D).

  • En 1978, la série G1-2-3 (Against the Giants : Géants des collines, Géants du gel, Géant de feu), puis la série D1-2-3 (Descent into the Depths) dans les profondeurs contre les Drows - la conclusion de G/D Q1: Queen of the Demonweb Pits (1980) n'est pas de Gygax mais de David Sutherland. Les sept modules furent ensuite réédités et unifiés par Dave Cook et Jeff Grubb dans un Supermodule de 1986, après le renvoi de Gygax, GDQ Queen of Spiders (qui se dit être la suite des deux autres Supermodules, de T1-4 et de A1-4 sur les Esclavagistes). Le GDQ a été récompensé comme le meilleur module d'AD&D mais il n'est pas du tout jouable en une séance, c'est une campagne qui se situe dans les Monts près de la Cordillière des Brumes de Cristal, de Sterich et la Yeomanry (les "Franches-Terres" dans la traduction française).

  • En 1978, en même temps que les G/D, Gygax commence une série de donjons qui formera la série S S1: Tomb of Horrors (1978, connus pour ses pièges mortels mais idiots), S3: Expedition to the Barrier Peaks (1980, qui compte un cross-over de science fantasy comme le vieux scénario d'Arneson Temple of the Frog) et S4: The Lost Caverns of Tsojcanth 1982 ; (le S2 White Plume Mountain est de Lawrence Schick qui fit aussi la série des A).

  • En 1979, Gygax lance la série T (Temple of Elemental Evil) mais il ne sortira que le T1 Village of Hommlet. Il annonce T1-4 mais elles seront achevées seulement six ans après par Frank Mentzer au départ de Gygax en 1985.

  • Cela fait un trou T2-4 qui aurait du rentrer dans une nouvelle série de modules dite WG (World of Greyhawk) (mais il n'y eut jamais de WG1-3). Ce sont WG4: The Forgotten Temple of Tharizdun (1982), WG5: Mordenkainen's Fantastic Adventure (1984) et WG6: Isle of the Ape (1985). Le WG4 est aussi la suite directe du module de compétition S4: The Lost Caverns of Tsojcanth de la même année 1982 (même s'ils remontent bien avant : une version différente du S4 existait en 1978) et se situe dans la même zone des Monts Yatils, entre Perrenland, Ket et Highfolk (c'est là qu'on retrouve la sorcière Iggwilv, sa fille la vampire Drelnza et le demon Graz'zt, père de Iuz).

  • Enfin, en même temps que les WG4-6, il écrivit deux scénarios censés être parodiques dans l'univers d'Alice au Pays des Merveilles, la série des deux EX, qui se rattachent lointainement au Castle Greyhawk qu'il annonçait depuis le début. Ce sont : EX1: Dungeonland et EX2: The Land Beyond the Magic Mirror (tous les deux en 1983).


  • On peut remarquer que ces modules comme EX (1983, inspiré de Lewis Carroll) et WG6 (1985, son dernier scénario avant d'être renvoyé de TSR, imité de King Kong) sont tous les deux des sortes de "pastiche". Son inspiration était-elle épuisée ? Ou bien cela signifiait-il qu'au moment où il essayait de travailler à Hollywood (avec le dessin animé D&D et un projet avorté de film), il voulait diversifier un peu les références de D&D ?

    Je viens de lire les EX, qui ne sont pas si drôles qu'ils en ont l'air. Alice traité à la D&D devient des clins d'oeil un peu lourd, plus proches des cauchemars d'Ambreville par Moldvay. Et pour le coup, ils sont assez atypiques et peu liés à Grisfaucon.

    Il me faudrait quelque chose de jouable en une séance et je penche pour quelque chose de la série WG, le WG5 ou le WG6, qui sont après tout le chant du cygne de Gygax en 1984-85.

    Ou alors je "rétroadapte" le récent hommage Expedition to Castle Greyhawk pour AD&D 1, avec le WGR1 Ruins of Greyhawk, qui détaille plus précisément le Château (mais ce n'est pas directement d'E.G.G.). Decisions, decisions...

    Démesure et Fatalité génétique



    Gattaca (1997) est le meilleur film de science-fiction jamais réalisé. Il est beau esthétiquement, il est le seul film à réaliser les potentialités de la fiction spéculative (et même de la Hard Science Fiction réaliste), le seul à poser un vrai problème de spéculation très concret sur la science effective et ses applications sociales très proches (et non pas simplement à jouer sur notre imagination à ce sujet) et surtout, point capital qui n'est pas toujours remarqué, il ne résout pas ce problème de bioéthique de manière satisfaisante.

    La science-fiction est une littérature d'idées, et souvent une littérature à thèse. La thèse manifeste de Gattaca se critique elle-même, de manière invisible, en un dialogue interne assez bouleversant. Gattaca est vraiment philosophique parce qu'il détruit sa propre philosophie de la liberté et nous laisse libres de la discuter.

    Le héros Vincent Freeman représente un type moderne de héros dans les récits. La Catharsis joue si bien que le récit arrive habilement, grâce à la Dystopie génétique et au nom de la défense du Libre-arbitre, à dissimuler tous les problèmes moraux que posent ses mensonges et ses autres vices. Nous voyons en lui le héros qui dépasse les déterminismes, sans voir ses péchés qui devraient au contraire nous faire songer à l'éventuel bien-fondé du déterminisme. Le héros romantique se fait passer pour un héros tragique.

    Le héros épique était souvent par essence supérieure aux autres mortels mais les accidents de la vie et la démesure même de son essence le conduisait de manière inévitable à des malheurs pires que le commun. Nous l'admirons mais le craignons un peu, l'identification ne joue pas à plein car nous ne pouvons pas penser qu'il ne mérite pas par essence son propre malheur.

    Le héros tragique avait le problème supplémentaire de se trouver dans un dilemme de double contrainte, où les deux solutions étaient en fait des fautes éthiques. Antigone a le "choix" entre violer les lois raisonnables de la Cité contre les traîtres et les lois sacrées de la famille pour les morts. On admire sa résolution, sans se rendre compte qu'Antigone n'a pas pris le "bon" choix (il n'y en avait pas) mais qu'elle se dit ne pouvoir faire autrement que suivre ce qui en fait une "héroïne".

    Dans le monde de Gattaca, on peut tellement filtrer les prédispositions génétiques qu'on a créé une division entre deux classes, les Invalides, déficients par essence (essence certes probabiliste, mais disposition virtuelle quand même) et qui seront toujours discriminés par essence et par nature, comme les Handicappés, et les Valides, les Surhommes, sains voire sélectionnés artificiellement. Nietzsche dit que la nature est créatrice de vraies valeurs (sain/morbide) mais ici la science consiste à inscrire la sélection naturelle en sélection artificielle et sociale. Gattaca est la dystopie de la discrimination "géniste", et non pas seulement classiste, sexiste ou raciste. Le monde y est une Prison, où on est enfermé dans le code de ses Cellules.

    Vincent Freeman éveille donc aussitôt notre compassion. Il n'est pas le Surhomme par nature mais son symétrique, l'Humain trop humain, nos propres faiblesses à visage humain. Il est déficient par essence et n'a qu'un rêve poétique qui semble noble et assez innocent, quitter ce monde sublunaire des accidents pour l'empyrée. Or, cela lui est interdit par sa nature même : les Cieux sont réservés aux Elus, aux Surhommes alors que Vincent devra rester dans le purgatoire de ses rêves inassouvis. Notre raisonnement est donc aussitôt que cette société est devenue inhumaine par sa sélection et que les exclus ont raison de se révolter par tous les moyens contre un tel monde d'injustice.

    Le Double Hélice comme Echelle de Jacob vers les Cieux


    Vincent obtient donc d'un Surhomme, Jerome (dont les accidents de la vie ont détruit la vie potentiellement parfaite) ses traces, son urine, son sang, ses cheveux, les fragments de son essence divine qui lui permettront de changer d'identité et se faire passer lui-aussi l'Invalide pour un Homme-Dieu. Je passe sur les divers accidents qui servent à renforcer l'identification (par exemple les mécanismes de suspense qui vont purger la peur et la pitié). Je passe aussi sur quelques problèmes de scénario comme le fait que le médecin ne pouvait en fait que se rendre compte très vite de l'illusion de Freeman. Le scénario se tire de cette difficulté par un retournement final : le médecin trompé trompe aussi Freeman, il feint de se laisser prendre mais le protège parce qu'il a aussi un enfant invalide. Cette coïncidence familiale, où le Juge qui doit sélectionner est aussi de parti-pris de compassion pour les damnés à cause de son Fils, est tout aussi curieuse que le fait que ce soit le frère de Freeman, le Surhomme Anton, qui soit chargé de l'enquête. Vincent a donc ainsi un lien à la fois avec deux Juges chargés de savoir s'il pourra accéder à la grâce : son frère surhomme et le père d'un invalide.

    A la fin, Vincent réussit grâce à ce concours de circonstances et part dans l'espace vers le symbole même de l'espoir prométhéen, le vol vers Titan. Nous avons alors une émotion de satisfaction et croyons confusément que "l'invincible esprit humain et son libre-arbitre ont ainsi vaincu les déterminations, les technosciences fatalistes, le fascisme géniste de la Dystopie".

    Mais un trouble peut nous envahir.

    Le choix de la profession si précaire et fragile d'astronaute où il peut engager aussi la vie de ses camarades astronautes n'est pas si "innocent" qu'il en a l'air. Si on dit que tout déficient qui court le risque de mettre en danger les autres dans le réceptacle a raison de mentir et de tromper pour pouvoir échapper à cette sélection, on commence à avoir des doutes.

    Le philosophe conservateur-darwinien Nenad Sesardic (qui veut en fait défendre la légitimité éthique et épistémologique de la sociobiologie et la psychologie évolutionniste) dans son article sur Gattaca dans le The Routledge Companion to Philosophy and Cinema, 2008, a trouvé une bonne parabole. Imaginons-nous tous "embarqués" à présent dans le vaisseau avec Vincent. Il a été exclu à cause du risque de crise cardiaque et le film prend bien le soin de ne pas prétendre que Vincent n'y serait pas astreint ou qu'il a la moindre raison de ne pas y croire. Vincent a une crise et il explique qu'il a menti pour arriver là et montrer son libre-arbitre. Ne pourrions-nous estimer qu'il nous a mis en danger de manière intrépide, inconsciente, stupide ? Que sa volonté de satisfaire son rêve poétique et d'échapper aux déterminations de sa naissance n'excuse pas en fait ses mensonges et le fait qu'il nous mette en danger ?

    Vincent pouvait faire d'autres choix de professions moins dangereuses (même si le génisme a l'air de le limiter à des métiers sans responsabilité) et il a choisi en fait l'une des seules où le processus difficile de sélection des prédispositions pourrait se défendre pour des raisons de sécurité - et de fait l'un des rares cas où l'exclusion existe déjà de fait !

    C'est le même argument chez le transhumaniste démocrate James Hugues dans son livre Citizen Cyborg: Why Democratic Societies Must Respond to the Redesigned Human of the Future, 2004. Le film a choisi un exemple curieux pour défendre sa défense de la liberté humaine contre la fatalité génétique puisque c'est justement celui où la sélection est justifiable au nom de la prudence ou du bien commun de l'équipage dans un contexte particulier d'extrême péril et vulnérabilité.

    On voit donc le retournement : Vincent était un héros de l'Homme ordinaire mais en fait nous apprécions chez lui une démesure imprudente, son intrépidité irresponsable qui accepte de mettre les autres en danger, nous refoulons nos propres réserves légitimes. Vincent n'est pas que le héros du libre arbitre, il a quelque chose d'une révolte dans l'hubris, un Faust qui se fait passer pour un Prométhée. Vincent n'est pas le Surhomme génétique, mais sa démesure en fait un personnage qui prétend inventer ses propres valeurs, non seulement contre celles de la vie et de la technique, mais aussi contre celle de la morale.

    La très belle scène où Vincent montre qu'il peut battre le Surhomme Anton dans un exercice de natation à condition d'abandonner toute prudence et toute rationalité prouve que cette ambiguïté n'est pas involontaire dans le récit. Gattaca ne prétend jamais que Vincent peut réellement prouver que la prédiction fataliste est sans aucun fondement. La subtilité du récit est d'arriver à rendre cette démesure presque invisible sous notre compassion pour ses déficiences - de même que Jerome est le retournement du Surhomme génétique en victime de sa propre auto-destruction par le suicide et l'alcool.

    Sesardic et Hugues en tirent la leçon que Gattaca n'a pas une critique cohérente contre le déterminisme génétique. Hugues précise que Gattaca ne peut servir à critiquer l'eugénisme et l'amélioration artificielle des gènes, mais que le film montre seulement les problèmes politiques du droit à la vie privée - ce qui est oppressant dans Gattaca est cette Police des Gènes qui surveille sans cesse salive, sueur, ongles, cheveux à la recherche de l'essence dans l'ADN - l'entreprise privée Monsanto utilise d'ailleurs déjà une telle Police des Gènes pour surveiller l'agroindustrie et ses brevets.

    Certes, les autres films d'Andrew Niccol, l'auteur-réalisteur de Gattaca, dans l'ensemble moins réussis et moins ambitieux, peuvent conduire à avoir des doutes sur l'idée d'une auto-subversion. Andrew Niccol semble vraiment dire qu'au premier degré, le film dénonce seulement l'exclusion des faibles et des handicappés, défend l'égalité contre la discrimination génétique et contre la vision "normalisatrice" ou fataliste de ces calculs. Mais le choix des ambiguïtés morales de Vincent Freeman demeure. Contre la tyrannie du fatum génétique, Niccol a choisi l'hubris de la volonté, une sorte de justification purement téléologique.

    Pour reprendre la disctinction d'origine hégélienne de Bernard Wiliams entre la Moralité (qui ne tient compte que des intentions et du Devoir moral) et l'Ethique (qui tient compte des circonstances et de la Chance), on a deux scénarios après la fin du film. Si Vincent réussit son voyage spatial sans crise cardiaque, alors il a éthiquement raison malgré ses fautes du point de vue de la moralité, il a réussi à montrer réellement qu'on avait été injuste en lui interdisant les Cieux. Au contraire, si Vincent a la crise cardiaque prévue, il est moralement et éthiquement vicieux. Et toute l'ambiguïté de cette happy end apparente réside sur ce coup de dé final, inscrit dans son ADN, qui en fait soit un héros, soit un scélérat.

    lundi 17 mars 2008

    Original Dungeons & Dragons



    J'hésite un peu pour notre GaryCon entre une partie d'OD&D (le D&D originel de 1974, antérieur même au D&D Basic que nous connaissons habituellement) et AD&D (1977-1979). En un sens, la différence est assez faible, AD&D intégrant surtout les modifications graduelles des trois premiers suppléments I Greyhawk (Voleurs et Paladins), II Blackmoor (Moines et Assassins) & III Eldritch Wizardry (Druides, Psioniques, Démons et Reliques).

    D&D édition originale (Boite blanche/brune) fut publié sous la forme de 3 livrets de 14cm sur 21cm : Men & Magic, Monsters & Treasure, The Underworld & Wilderness Adventures, plus un guide de référence des tables (mais sans feuille de personnage !).

    D&D avait la particularité de ne pas bien expliquer le concept même du jeu (mais le volume 3 a des exemples plus pédagogiques). Il supposait qu'on possédait déjà Chainmail et même un autre jeu d'une autre compagnie pour les scènes en extérieur, le jeu Outdoor Survival (1972) d'Avalon Hill. D&D ne prétendait pas être autre chose qu'une extension dépendant du wargame : il fallait Chainmail pour comprendre les combats). Ron Edwards a comparé l'apprentissage des premiers role-players à un Culte de Cargo, comme les peuples primitifs qui doivent réinterpréter et se réapproprier une technologie incompréhensible mais qu'ils dotent de capacités miraculeuses. [Voir aussi l'Introduction d'OD&D]

    L'expression "role-playing game" n'apparaît jamais. D&D est seulement sous-titré "Rules for Fantastic Medieval Wargames Campaign Playable with Paper and Pencil and Miniature Figures". L'expression "rôle" apparaît bien quelque fois : "Before the game
    begins it is not only necessary to select a role, but it is also necessary to determine what stance the character will take - Law, Netrality [sic], or Chaos" (p. 9). Role est donc seulement synonyme de "classe de personnage" à cette époque.

    Il commence en disant qu'on peut jouer de 4 à 50 personnes avec un ratio de 20 joueurs par "arbitre", ce qui paraît assez délirant si on n'oublie pas que D&D n'est alors qu'un wargame complexe. Il utilise déjà presque tous les dés polyhédriques (le d20 sert de d10 qui n'arrivera que plus tard).

  • Création de personnage

    Il n'y a que 3 classes : Combattant (Fighting Man, et non Fighter comme après), Magicien (Magic-User) et Clerc (Cleric).

    Il y a 4 races : Homme (Man, et non Human), Elfe, Nain ou Hobbit (devenu Halfling ensuite). Les Nains et les Halflings ne peuvent être que Combattants, les Elfes ont le droit d'être soit Combattants soit Magiciens (ils peuvent se bi-classer mais la règle dit de manière peu claire qu'ils doivent décider pour chaque aventure de quelle classe ils sont). Seuls les Humains peuvent être Clercs. Les races n'ont aucun bonus de caractéristiques mais ont déjà quelques pouvoirs (les Nains et les Halflings ont une résistance à la Magie améliorée de 4 Niveaux) et des limites de niveaux. Les règles imaginent en revanche déjà que le joueur puisse vouloir créer une personnage d'une autre race et prend même l'exemple d'un jeune Dragon.

    Ensuite on choisit son Alignement : Loi, Neutralité ou Chaos et il est clair qu'il n'y a aucune différence entre Chaos et Mal. Les Clercs peuvent être pour la Loi ou pour le Chaos (Prêtres maléfiques). Les Treants sont forcément loyaux. Les Dragons et les Géants sont tous soit chaotiques soit neutres (pas encore de Géants des tempêtes ni de Dragons métalliques, mais ensuite le volume 2 Monsters & Treasure, p. 12 ajoute le Dragon doré). L'idée absurde de Langues d'alignement apparaît déjà (Men & Magic, p. 12).

    Les six caractéristiques habituelles Force, Intelligence, Sagesse, Constitution, Dextérité et Charisme se tirent dans l'ordre avec 3d6 (plus 3d6x10 pièces d'or). L'exemple du premier personnage a le doux nom de Xylarthen le Mage). Les caractéristiques ajoutent surtout plus à l'expérience gagnée dans sa classe. Les bonus sont encore très peu gradués : à plus de 12, on a un +1, à moins de 9 un -1, mais cela s'arrête là.

    On parle le Commun, son Alignement plus 1 langue par point au-dessus de 10. Le Charisme permet de recruter des serviteurs. L'équipement contient déjà des éléments qui prouvent bien qu'on peut quitter le dungeoncrawling (un petit vaisseau marchand coûte 5000 pièces d'or, une grande galère 30,000 pièces).


  • Combat

    D&D utilise les Noms de Niveau à la place des chiffres. Un Magicien de niveau 8 est un Warlock. Dans la traduction vers le wargame Chainmail, le Niveau est représenté en "équivalence" en nombre d'hommes sur la table, ce qui donne une idée intuitive de ce que représentait en réalité le Niveau. Les "Dés de coup" sont encore tous des d6. Un Spadassin (Niveau 3, 3 dés de vie) équivaut à 3 Hommes en attaque, alors qu'un Théurgiste (qui serait Niveau 4 mais avec 2 dés de vie) équivaut à 2 hommes en combat (mais il a 4 sorts de niveau 1 et 2 sorts de niveau 2). Le Clerc n'a pas de sorts avant le niveau 2 (ce qui fut conservé dans Basic D&D mais pas dans AD&D).

    Toutes les armes font 1d6 points de dégat (je ne comprends pas bien quel est alors le désavantage de n'avoir qu'une dague comme le magicien !).

    La Matrice des combats est peu claire (elle est faite pour les Combattants et les deux autres classes doivent s'adapter) et distingue une table pour les Hommes et une autre pour les Monstres - alors qu'il est assez clair que les deux systèmes pourraient devenir plus élégants et uniformisés. La Classe d'armure inversement proportionnelle au nombre est sur 9 et non sur 10 (là aussi ce sera conservé dans Basic D&D). La Table des jets de sauvegarde suit aussitôt avec très peu d'explications.

    On pourrait en fait simplifier la table de combat en utilisant une formule comme la THAC0, mais la progression n'est hélas pas régulière. En gros, la THAC0 est égale à 19 - 2x [(Niveau/k) - 1], en arrondissant au supérieur Niveau/k et avec k = 3 pour un Guerrier, 4 pour un Clerc et 5 pour un Magicien. Si on compare, la matrice d'AD&D a une progression plus rapide. La THAC0 des Guerriers de la 1e édition est en gros 20 - 2x [(Niveau/2) -1].


  • Magie

    Il n'y a que 6 Niveaux de sorts de mages et 5 niveaux pour les Clercs (mais ils ont accès au pouvoir d'exorcisme, et certains sorts s'adaptent au fait d'être Loyal ou Chaotique). Il est précisé (p. 34) que le Magicien doit avoir un Livre différent pour chaque Niveau de sort (et que chaque copie coûte un prix proportionnel au Niveau, soit pour un Livre de niveau N, 2Nx1000 pièces d'or) !

    Le sort Contacter les Plans supérieurs (Niveau 5, p. 29, repris dans AD&D) a un pourcentage de chance de rendre fou proportionnel à la puissance de la Divinité contactée. Le mécanisme central de Call of Cthulhu de la Santé Mentale se trouve donc déjà là avec toute une table qui prend à cette époque toute une page (dans AD&D, cela se perd plus dans une colonne du Players Handbook).

    La règle sur les Recherches magiques repose sur l'argent. La chance d'inventer un sort de niveau N dépend du nombre de pièces d'or. Il faut au moins 2Nx1000 pièces d'or et chaque tranche de ce montant donne 20% cumulatif de trouver le sort.


  • Monsters & Treasure

    Le volume 2 Monster & Treasure équivaut au Monster Manual, plus la liste des trésors du futur DMG. La liste des objets magiques étant plus petite, la chance d'en avoir des intéressants est en fait peut-être plus grande que dans AD&D.

    OD&D a déjà tous les détails complexes sur les épées magiques (sauf que l'Ego de l'épée s'appelle Egoism) mais elles sont un peu plus faibles. Il est précisé (p. 30) que le bonus ne vaut que pour la chance de toucher et pas les dégats, sauf les épées qui ont un bonus spécial +2/+3 contre une cible particulière. Il n'y a pas encore de Vorpal ou de Sword of Sharpness.

    Il propose déjà quelques Artefacts & reliques en une phrase (p. 38-39) :

    • "Although not otherwise mentioned, there can be included various powerful items of Law and Chaos termed Artifacts. These items are super-powerful in comparison to listed magic and must be handled by the referee. Examples of Artifacts: Teleportation Machine; Fighter's Crown, Orb and Scepter; Magic-User's Crown, Orb and Sceptre; Cleric's Crown, Orb and Scepter; Stone Crystalization Projector, etc. If such items are included very harmful effects should be incurred by any Neutral or Oppositely aligned character who touches one."




  • The Underworld & Wilderness Adventures

    Ce troisième volume est consacré à la création des Oubliettes (p. 3-13) et les aventures en extérieur (p. 13-24, avec la construction des Châteaux des personnages de haut niveau, qui est le but du jeu).

    Il y a là une des rares descriptions de la campagne de Greyhawk (p. 4), qui doit donc être la première esquisse de scénario, avant The Temple of the Frog dans le Supplément II: Blackmoor d'Arneson :
    • "Greyhawk Castle", for example, has over a dozen levels in succession downwards, more than that number branching from these, and not less than two new levels under construction at any given time. These levels contain such things as a museum from another age, an underground lake, a series of caverns filled with giant fungi, a bowling alley for 20' high Giants, an arena of evil, crypts, and so on.


    Ce chapitre a les Monstres errants et enfin une explication avec un exemple de la manière de jouer - tous les jeux de rôle ont ensuite repris cette tradition d'un long exemple de dialogue entre arbitre et joueurs (ici le rôle spécifiques du porte-parole des joueurs).

    La fin du livre a quelques règles pour le combat aérien et le combat maritime, qui montrent bien que la Reptation en Oubliettes n'était pas la seule façon de jouer. Tous ces conseils vagues sur les rumeurs, le recrutement de diverses professions pour votre Château prouvaient aux premiers joueurs, même avant Chivalry & Sorcery les potentialités bien plus vastes du jeu.
  • dimanche 16 mars 2008

    Comics de la quinzaine (5/03-12/03)



  • Univers DC

    • All-New Atom #21

      Imaginez que vous soyez le scénariste d'une série sur un personnage dont le pouvoir est de pouvoir se miniaturiser jusqu'à des niveaux infinitésimaux. Qu'écririez-vous ? Sans doute des réflexions sur le Microcosme et le Macrocosme, et le vertige des deux infinis. Ou bien une histoire où le personnage entre dans le corps humain comme dans The Fantastic Voyage d'Asimov et combat des virus. Oui, c'est un des thèmes classiques souvent revisités, avec ce type de personnages (et j'ai beaucoup d'attachement pour ce cliché depuis World's Finest Comics #236 où Atom combattait de petits farfadets destructeurs de globules rouges qui s'avéraient être des sortes d'anticorps). Le nouveau scénariste Rick Remender reprend ce thème mais avec un twist de mise en abyme puisque le nouvel Atom (Atom IV, si vous suivez) voyage cette fois dans son propre sang et y rencontre un virus étranger. C'est une très bonne idée, qui a le seul défaut qu'elle a été utilisée aussi de manière presque simultanée dans Countdown, où l'ancien Atom (Ray Palmer, Atom II) doit lutter contre le virus du "morticoccus" dans l'organisme de Karate Kid). Sans doute la meilleure histoire de ce nouvel Atom depuis le début, mais c'est trop tard, la fin de la série doit être imminente (mais cela dit, je dis cela depuis au moins neuf numéros). B+

    • Booster Gold #7

      Comme je le pensais, on a la confirmation que le Blue Beetle du futur est bien un criminel - hélas appelé maintenant Black Beetle... Et comme je l'avais aussi prévu, Per Degaton, le plus ancien vilain voyageant dans le temps de l'univers DC (il fut créé dans All Star Comics #35, 1947) est bien aussi dans le coup. Booster Gold et Blue Beetle luttent contre les OMACS dans un présent alternatif où Maxwell Lord a gagné contre les héros - ce qui donne au moins la satisfaction de voir le valet Alfred tuant Batman. Rip Hunter recrée Supernova pour empêcher un flux de paradoxes temporels. On devine déjà où ça va aller : Blue Beetle décidera de se sacrifier et de mourir à nouveau pour que le temps se restaure à son état normal. Je n'aime pas tellement ces histoires fatalistes et contradictoires où on peut changer le passé mais où les conséquences sont toujours négatives dès que le changement ne plait pas au scénariste ou risque de modifier trop de choses dans la continuité. B

    • Green Lantern #28 et Green Lantern Corps #22

      Laira avait exécuté Amon Sur dans GL #26 et c'est le moment de son procès. Les Gardiens et leurs Lanternes Alpha l'expulsent du Corps mais elle est recrutée par le nouveau Corps des Lanternes Rouges. La théorie nouvelle est que le spectre des couleurs est associé à des émotions primitives : les Vertes sont le Courage, les Jaunes la Peur (vaincus pendant la Guerre contre Sinestro et Parallax), les Rouges la Colère, les Violettes des Zamorans l'Amour. Les cousins des Gardiens, les Controleurs (créateurs des Sun-Eaters puis des Dark*Stars qui remplacèrent les Green Lanterns à une époque) cherchent la couleur Orange - et on sait déjà que les Lanternes Oranges seront associés à l'Avidité. Deux Gardiens ont déjà commencé à créer les Lanternes Indigo de la Compassion et il manque encore la septième, le Bleu (plus la Lanterne noire).
      Les Gardiens, qui ont déjà créé les Lanternes Alpha comme Boodikka pour servir de Police des Polices, ajoutent une nouvelle réforme de la constitution des Lanternes Vertes, donnant désormais le droit aux Lanternes de tuer tout ennemi du Corps. La dérive de leur Courage vers la violence est inévitable et Hal Jordan, qui connaît déjà les tentations du désespoir, commence à avoir des doutes de plus en plus sérieux sur l'évolution des Gardiens. Le problème de toute cette histoire est qu'on imagine déjà une nouvelle guerre entre les Lanternes qui va vraiment faire penser à un remake de la Guerre contre Sinestro. On reproche parfois à Geoff Johns d'écrire de la "fan-fiction" professionnelle. Un défaut possible de la fan-fiction est de vouloir avant tout satisfaire nos désirs de fans, en se souciant plus de successions d'images cools sur les personnages favoris, au lieu d'une vraie histoire. Le fan veut restimuler son propre plaisir sur le personnage au lieu de vraiment créer un récit original. Un signe chez Johns de cela est l'usage constant des Climax où tous les personnages se retrouvent. J'aime beaucoup ces scènes, qui sont d'ailleurs l'essence même du Retour des Personnages dans les oeuvres en continuité, mais elles finissent par devenir un procédé quand on sait à l'avance que tous les personnages vont se recroiser dans une grande conflagration générale. B

    • Wonder Woman #18

      Zut, Gail Simone veut sérieusement continuer l'intrigue où Diana serait attirée "romantiquement" par ce loser de Tom Tresser, et ils commencent à évoquer un flirt plus sérieux.
      En dehors de ce développement - qui ne durera sans doute pas, DC n'arrivant plus à relier Diana avec un petit ami depuis la fin de Steve Trevor -, c'est un bon épisode où Diana se retrouve au milieu d'une guerre entre les Khunds (l'une des races les moins intéressantes de l'univers DC pour l'instant, juste des brutes dans le genre des Klingons) et un ennemi mystérieux qui comprend des êtres d'origine divine ("l'Ichor") et des Green Lanterns.
      En revanche, je me passerais volontiers d'Etta Candy (la comparse de Wonder Woman depuis les premières aventures dans les années 40) et le retour de ses "Woo Woo" (devenus ici de manière plus "moderne" "WOO @#%ING WOO"). B



  • Indépendants

    • Dynamo 5 #11
      Le suspense est enfin un peu monté. Slingshot et ses demi-frères désobéissent à Maddie Warner et acceptent un chantage. Ils font s'évader un assassin en échange de la liberté du père de Slingshot, pris en otage par le milieu. Pour une fois, ce réalisme de film policier profite bien à être mélangé avec les conventions génériques du super-héros. Ils ont semblé céder un peu trop rapidement (on se doute bien qu'ils regretteront un jour d'avoir libéré ce criminel), mais je suppose que le dilemme ne devait servir qu'à accentuer le fait que la loyauté familiale du groupe compte plus que d'autres normes à leurs yeux. Ils sont d'ailleurs d'une rare efficacité dans ce numéro. Pendant ce temps, Maddie et la mère de Visionary sont à leur tour pris en otages par un groupe de criminels venus liquider la descendance du Captain Dynamo. B+



  • Marvel

    • Amazing Spider-Man #553

      Curieux, j'aime beaucoup Phil Jimenez d'habitude, malgré le côté un peu figé de certaines postures, mais là, son Spider-Man aux yeux absolument énormes me paraît une convergence de plusieurs erreurs de design. Les autres dessinateurs de cette relance rendaient hommage surtout à John Romita Senior dans les années 70. Jimenez semble s'inspirer plus des maniérismes de Todd McFarlane dans les années 90, ce qui ne convient pas du tout à son propre style réaliste. De plus, Spider-Man a pu osciller entre la silhouette squelettique originelle par Steve Ditko et les muscles athlétiques de Romita Senior (un des rares points où je trouve que Romita a d'ailleurs peut-être un peu exagéré) mais ici Jimenez semble aller vers une troisième déviation, une sorte de silhouette presque trappue, voire de l'embonpoint dans certaines cases ! Jimenez convient très bien à des héros un peu hiératiques, comme Wonder Woman ou Superman (il serait bon sur Iron Man), mais son style ne s'adapte pas parfaitement au dynamisme de l'Homme-Araignée.
      Quant à l'histoire, elle ne m'a pas passionné mais il y a quelques bons gags sur les techniques photographiques de Peter Parker. Sa vie professionnelle a rarement joué un tel rôle, il me semble. B

    • Annihilation Conquest #5/6
      Le nouveau Ultron (qu'on vient à peine de voir se faire vaincre dans Mighty Avengers) a gagné l'alliance du High Evolutionary et la série converge vers une parabole sur la vie, organique et mécanique. Le sacrifice de Groot l'Arbre (avec l'aide de Mantis, la Prêtresse des Cotati) contre la Tour de Babel informatique des Phalanges technoorganiques en est le symbole clair : évolution biologique lente contre l'accélération robotique. L'épisode raconte enfin comment le robot terrien a pris le contrôle de toute une espèce artificielle extraterrestre et comment il atteint son plan, récupérer les anciens secrets de l'Intelligence Suprême (le cerveau/ordinateur collectique des Kree) pour son propre avantage, transformant l'eugénisme kree en mise à jour pour sa propre existence. B

    • Clan Destine #2/5



      Du plaisir presque pur. Alan Davis nous résume à nouveau la première série de 1994-1995 et introduit un nouveau frère, Thaddeus (une sorte de Wolverine de plus, bof, disparu face aux Inhumains au XIVe siècle). Mais surtout, il organise le cross-over interdimensionnel dont on avait tous rêvé en faisant se rencontrer le Clan Destine et l'Excalibur du CrossTime Caper de 1989 avec Captain Britain, Meggan, Nightcrawler, Phoenix II (Rachel Summers), Shadowcat (Kitty Pryde)et son Dragon Lockheed. A

    • Fantastic Four #555
      Mark Millar a vraiment réussi sa reprise du titre. Le triangle Mr Fantastic-Alyssa-Sue fonctionne bien. Le playboy Johnny se trouve une nouvelle petite amie qui est cette fois une supervilain. La Chose est encore plus sympathique et terre-à-terre que d'habitude - et il a pourtant déjà tout un capital affectif. La caractérisation des personnages n'a rien de si original mais elle réussit à réactiver les profils habituels. B

    • Mighty Avengers #10
      Iron Man, Dr Doom et the Sentry se retrouvent dans le passé de l'univers Marvel (sans doute une douzaine d'années, pas plus dans la continuité Marvel actuel) et vont chercher à revenir dans leur époque en espérant ne pas déclencher de paradoxes - alors qu'il a déjà été établi plusieurs fois dans l'univers Marvel qu'on ne peut pas changer son passé mais seulement créer une nouvelle ligne divergente de plus, Bendis n'a pas compris cette logique (c'est la même erreur que faisait Young Avengers d'Allan Heinberg). Le charme de l'épisode est l'utilisation de gags de référence aux comics d'il y a 30-40 ans mais en dehors de cette parodie, je ne vois guère l'intérêt. Il faut dire que je n'ai jamais accroché au personnage de The Sentry. Paul Jenkins et Brian Bendis essaye de nous faire croire depuis 8 ans que cette énième imitation de Superman, qui est instable psychologiquement et sans doute identique à son pire ennemi (comme l'était déjà Adam Warlock face au Magus) était un concept intéressant mais je n'ai jamais vu en quoi. Dans le genre des retcons, il est moins intéressant même qu'un médiocre comme Alpha Centurion. Dans le genre du Superman submergé par sa responsabilité, il est moins intéressant que The Samaritan d'Astro-City. Il reste donc uniquement le fait qu'il a peur de devenir fou, ce qui est plus original mais ne le rend curieusement pas vraiment sympathique tant il semble immergé seulement en lui-même.
      Il faudrait aussi vraiment que Brian Bendis cesse de croire que ses bulles de pensées redondantes sont hilarantes. Ce n'est plus vrai depuis au moins 10 numéros. C

    • New Exiles #3
      Une des obsessions de Chris Claremont bien connu est les histoires de contrôle mental. On prend donc peur en voyant ici Sabretooth et Psylocke semblent tomber sous le contrôle - nettement érotisé - d'une vampire de Terre-6706. Tout cela est très bien dessiné par Tom Grummett mais le problème de cette Terre parallèle est sans doute qu'elle manque d'un "thème fort". B

    • Nova #11
      Nova, toujours victime du virus technoorganique de la Phalange, arrive sur Kvch, la planète originale de la Technarchie, monde d'origine du robot-mutant pacifiste Warlock, qui élève un jeune Technarque plus violent, Tyro.
      Je commençais à me lasser de l'histoire du Virus mais la division entre Technarchie et la Phalange liée d'Ultron permet au moins enfin de sympathiser et d'individualiser certains de ces robots homicides. B
  • La Main de Vecna



    D&D était un système médiéval-fantastique sans "univers" spécifique mais en fait les règles finissaient par définir tout un arrière-fond qui se retrouvaient à travers tous les mondes D&D. D'ailleurs, quand le monde de Greyhawk fut peu à peu remplacé par celui des Royaumes oubliés au fil des années 90, il dut absorber une partie des objets et références du premier monde.

    Et parmi les références, il y avait les Artefacts et Reliques, c'est-à-dire les objets magiques un peu importants qui étaient là pour jouer le rôle de l'Anneau Unique dans le Seigneur des Anneaux. Et la relique ultime était la Main et l'Œil de Vecna, qui apparaît dès la première édition de D&D (dans le supplément Eldritch Wizardry par Brian Blume de 1976) et pour AD&D dans le Dungeon Masters Guide (p. 157-158).

    Vecna (dont le nom est l'anagramme de Jack Vance, l'une des principales inspirations de D&D, le créateur de la magie dite "vancienne" où le Mage oublie le sort qu'il lance et doit le réapprendre) est décrit simplement comme une "Liche", un Sorcier devenu Mort-Vivant. Vaincu, Vecna ne laissa que deux organes tranchés, une Main et un Œil, chacun investis de pouvoirs maléfique et animés d'une volonté. L'originalité macabre de ces reliques était qu'il fallait obligatoirement se trancher sa propre main ou son oeil pour greffer les restes de Vecna et accéder ainsi à ses pouvoirs - au risque de devenir en fait soi-même un simple véhicule du fantôme de Vecna, guidé par sa Main au lieu de la contrôler.





    Le DMG étrangement ne donnait pas la liste complète des pouvoirs de la Main et l'Œil et il fallait les choisir sur une table (et non pas les tirer aléatoirement, ce qui est assez inhabituel dans le DMG), ce qui fait que selon les campagnes individuelles des divers Maîtres du Donjon, la Main et l'Œil ont pu avoir des pouvoirs assez différents. L'Œil donne l'Infravision plus 2 pouvoirs bienveillants mineurs, 2 pouvoirs bienveillants majeurs, 1 effet malveillant et 1 miracle principal. La Main, encore plus puissante, donnait une Force de 18/00, 10 bienveillants mineurs, 5 pouvoirs bienveillants majeurs, 2 effets maléfiques mineurs, 2 effets maléfiques majeurs, 2 miracles principaux et un Effet indésirable.

    Le supplément original Eldritch Wizardry (1976, p. 43-44) était plus explicite que le DMG et suggérait la liste suivante pour la Main de Vecna : Lévitation, Infravision, Vol, Détecter piéges, Sommeil (3x), Ralentissement (2x), Doigt de la Mort, Régénération, Téléportation (2x), Invocation de monstres, Vision Rayon X, Renvoyer le sort (ce passage est peu lisible), Mort, Transformer les os en gelée, Localiser Trésors, Effet indésirable : le personnage évolue jusqu'à devenir Vecna ou un démon à son image, A chaque utilisation il a 2% cumulatif de devenir éthéral, Prémonition du Danger.

    Il y a eu quelques reliques plus puissantes (l'étrange Machine de Lum le Baron Fou par exemple qui a des douzaines d'effets en plus), mais aucune n'a autant saisi l'imagination que la maléfique Main de Vecna, sans doute à cause de l'histoire d'arrière-fond et tout cet aspect sinistre qui inverse l'ancien culte chrétien des Reliques et peut faire penser à la Patte du Singe (Gygax précise que les gestes des doigts sont associés à des pouvoirs distincts). Il y a aussi le fait que son usage semblait être une sorte d'inversion de l'Anneau Unique : Gollum doit trancher le doigt de Frodo pour lui prendre l'Anneau alors qu'il faut se mutiler soi-même pour utiliser la Main.

    Un autre aspect intéressant est que l'objet a déjà toute une histoire sous-entendue avec d'autres objets. Une autre relique, l'Epée noire de Kas, est décrite comme l'Epée du traître qui réussit à vaincre Vecna et lui trancher la Main.

    Le DMG 2e édition écrit par David "Zeb" Cook gomme de nombreuses références de Greyhawk mais conserve la Main de Vecna (DMG2, p. 91), en précisant une proposition de listes de pouvoirs : Force 19 (mais seulement pour tenir des objets), Rayon de la Mort (1x), Causer Maladie (2x), Animer Morts (1x), Ténèbres (à volonté), +2 Protection, Toile (1x/jour), Désintégrer, Régénerer 2 points par tour, Foudre (12 dés de dégats, 1x) et le puissant Arrêt du Temps (1 fois par semaine).

    Mias dès 1990, David Cook fait revenir Vecna avec un scénario, Vecna Lives!. Au début, les joueurs sont censés reprendre le rôle du Cercle des Huit, les puissants mages de Greyhawk, et se faire massacrer tous pour que les joueurs comprennent que Vecna est de retour et qu'il est Trop Puissant pour eux (oui, cela sonne très dirigiste). Ensuite, les joueurs doivent se créer une nouvelle équipe de personnages et doivent avec l'aide d'Iuz et du vrai demi-dieu Vecna affronter le propriétaire actuel de la Main et de l'Oeil. Après quelques retournements à travers les plans via Tovagu Baragu (le Stonehenge dimensionnel), les personnages verront ensuite Iuz et Vecna se battre sans pouvoir rien faire. Oui, tout cela sonne plus comme un mauvais comic book que comme une bonne aventure de jeu de rôle.

    On voit alors la limite de cet objet pour le jeu de rôle. Presque aucun joueur sain d'esprit ne va s'amuser à mettre la Main ou l'Oeil, dont on sait qu'ils rendent "Neutre Mauvais" et que les gains sont finalement faibles si on devient l'esclave de Vecna. Ce sont des objets qui peuvent avoir l'air cool mais qui sont tellement destinés aux PNJ qu'ils risquent de contribuer à ce qu'on appelle en théorie du jeu de rôle la "déprotagonistisation" : les joueurs deviennent des spectateurs entre différents vilains qui se battent pour la relique maléfique. Un peu comme si Frodo ne faisait que regarder un combat entre Sauron et Saruman.

    La Main et l'Oeil réapparaissent ensuite dans le supplément Book of Artifacts, 1993 (p. 35-36) par David Cook (de même que l'Epée de Kas p. 100). Curieusement, ils ont à nouveau des pouvoirs à déterminer aléatoirement alors qu'ils étaient définis. L'Oeil donne Vision, Domination (1x/jour), 3 pouvoirs de Divination (et gagne plus de pouvoirs s'il est joint à la Main), La Main donne une Force de 19, un Toucher de la Mort (1x/jour), 8 pouvoirs mineurs, 7 pouvoirs majeurs.

    Finalement la Main et l'Oeil réapparaissent dans deux suites aussi ratées que l'original, Vecna Reborn et Vecna, Die, Die!, qui contiennent des parodies ridicules du concept original : le Pouce de Vecna, l'Auriculaire de Vecna, les Canines de Vecna, la Molaire de Vecna, le Coeur de Vecna et même le Pied Gauche de Vecna (si, si). Trop de Vecna tue Vecna. On a l'exemple même de la surexploitation abusive d'un concepts par des fans soucieux de traire la même vache à lait (même s'ils sont sans doute conscients du sarcasme anti-catholique de cette liste de reliques).

    En revanche, l'histoire de l'escroquerie sur la Tête de Vecna est l'un des plus beaux subterfuges de jeu de rôle : une équipe de joueurs firent croire à une autre qu'ils avaient la Tête de Vecna et qu'il fallait se décapiter pour pouvoir s'en servir...