mardi 10 juin 2008

Opération Turquoise



J'ai enfin vu Opération Turquoise, le téléfilm d'Alain Tasma, déjà passé en novembre 2007 sur Canal+. C'est une fiction qui suit la mission française en fin juin 1994. Le Génocide des Tutsis (et des Hutus modérés) a commencé depuis plus de deux mois, en avril après l'attentat qui tua le Président hutu Juvénal Habyarimana (en même temps que le Président du Burundi Cyprien Ntaryamira). La France a soutenu et armé le pouvoir hutu, notamment en 1990-1993 contre le FPR tutsi.

Le film évoque assez peu les responsabilités du Président Mitterrand ou du gouvernement d'Edouard Balladur et suit plusieurs personnages symboliques dans le corps militaire français. Le lieutenant-colonel Rambert et l'adjudant Philippart du GIGN connaissent bien le Rwanda (il y a une bonne scène où Rambert parle même en Kinyarwanda pour calmer des réfugiés tutsis) et commencent avec des préjugés favorables pour les Hutus et contre les rebelles Tutsis contre lesquels ils avaient l'habitude de combattre. Ils sont les premiers effarés par les charniers qu'ils découvrent, même s'ils commencent en disant que la Guerre civile rend les choses plus complexes et que Rambert continue à soutenir ses amis officiers hutus. Le jeune officier de marine Cédric Morvan est au contraire complètement ignorant de la situation mais comprend paradoxalement plus vite la faute du pouvoir hutu.

Le film, adapté de textes du reporter Patrick de Saint-Exupéry ("Christophe Gosselin" dans le film), porte notamment sur les événements de Bisesero. Les troupes françaises arrivent dans ces collines à l'ouest du Rwanda où se sont réfugiés des milliers de Tutsis. La controverse porte sur le retard qu'ont pris les Français à protéger les rescapés. Ils les auraient trouvés le 26 ou 27 juin 1994 et les massacres ont continué pendant trois ou quatre jours avant que l'armée ne vienne protéger les survivants. Le film a plutôt la thèse d'une bonne foi française (ils étaient occupés dans d'autres évacuations jugées prioritaires). Voir notamment cet article qui critique la thèse française sur la Polémique de Bisesero. Ce retard rappelle une des scènes les plus bouleversantes dans Hotel Rwanda où Paul Rusesabagina (le Hutu marié à une Tutsi qui sauva quelques Tutsis) obtient in extremis un coup de fil de Mitterrand via la compagnie belge pour laquelle il travaille pour arrêter un massacre.

La haine fanatique des génocidaires hutus contre ceux qu'ils appellent "les Cafards" est bien montrée dans une scène où Athanase, un instituteur francophile récite La Fontaine et se glorifie d'avoir exterminé ses élèves tutsis. La fin du film montre les ambiguïtés de la fin de la mission où les Français qui protègent les réfugiés hutus aident aussi les Génocidaires à s'enfuir alors qu'ils n'ont pu aider les réfugiés tutsis.

Un des problèmes avec la fictionalisation est le personnage du Ministre français qui est anonymisé - on ne dit même pas s'il est censé être Juppé, le Ministre des affaires étrangères de l'époque, ou (plus vraisemblablement) le Ministre de la Défense François Léotard.

L'autre problème est l'intrigue tragique où le militaire français amoureux d'une Tutsi découvre que ce sont des hommes qu'il a entraînés qui ont ensuite tué celle qu'il aimait. Je ne trouve pas que ce soit trop pathétique mais la métaphore pourrait paraître un peu artificielle ou de mauvais goût.

Voir aussi l'article de la journaliste belge Colette Braeckman (qui fait un curieux lapsus en parlant de "François Sarkozy").

En parlant du Rwanda, il est assez curieux de comparer l'article Paul Kagame sur Wikipedia en français qui le décrit avant tout comme le nouveau dictateur tutsi après le Génocide (élu à 95%) et le même article en anglais, nettement positif et le présentant avant tout comme le premier Président démocratiquement élu (la page Discussion montre d'ailleurs une Guerre d'édition après des versions nettement plus négatives). Cela rappelle à quel point le conflit interne hutu-tutsi se superpose à l'extérieur sur un conflit de perception entre la perspective francophone et une perspective anglophone (Kagame est né au Rwanda mais fut élevé dans l'Ouganda anglophone). Ce n'est pourtant pas nier le crime hutu ni nier que c'est le FPR tutsi qui l'a arrêté que de s'interroger sur le rôle de Paul Kagame dans le meurtre d'Habyarimana ou bien sur son pouvoir autocratique depuis son arrivée au pouvoir (et notamment l'invasion du Congo-Zaïre ou les conflits avec son ancien allié ougandais).

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